On est le 26 février 1815 en fin de journée, sur le port principal de l'île d'Elbe. Tous les témoins sentent que Napoléon va se lancer dans l'aventure. Mais laquelle ? Ils l'ignorent, et si les lecteurs des livres d'histoire le savent, les lecteurs de mon récit ne seront pas plus malins que les témoins.
Voici donc le moment critique, quelques heures avant le point de divergence de mon récit. Pour le plaisir d'entendre Ryo, pour attendre l'arrivée du livre par la poste ou chez votre libraire et aussi pour ceux qui n'auront pas le courage de s'attaquer au volume tout de suite (voire qui n'ont pas eu le courage de lire le billet L'historien croco et le crypto saurien).
Bien sûr mes amis bitcoineurs pourront être surpris de découvrir ma nouvelle production, même si le totem saurien en orne malicieusement le titre.
Ceux qui suivent ce blog savent cependant que Napoléon y apparaît dans plusieurs billets (en réalité dans plus de 25 et j’en ai été surpris moi-même en les comptant) et notamment dans
Napoléon et nous et Un bon croquis, vraiment ?
Comme l’a dit un de nos amis : « Jacques Favier, vous prononcez trois fois son nom devant une bibliothèque, il apparaît et il vous fait un cours sur Napoléon ».
Enfin, évidemment, j’ai prévu pour les crypto-curieux la possibilité d’acquérir Aigle, crocodile & faucon en bitcoin. Ce n’est pas chose facile, du fait de la loi sur le prix unique du livre, mais cela pourra se faire lors d’événements communautaires. Je ne me cache pas, et le mot Bitcoin apparaît même sur la page 4 de couverture, comme le nom de Tintin.
J'avais annoncé ce billet en conclusion de celui qui traitait de la propriété et de la souveraineté, de certaines illusions politiques nées d'une soudaine prospérité, de fantasmes où la mémoire féodale offre à une classique revendication libertarienne le motif kitsch d'un fief ou d'un royaume .
Tout autre est le Pays de Cocagne, que nous croyons tous connaître et dans lequel s'emmêlent, dans une innocence un peu enfantine, paresse et gourmandise rêvées avec la semaine des quatre jeudis ou le Palais de Dame Tartine.
En nous penchant sur ce mythe d'abondance cher à nos ancêtres, je crois que nous pouvons apprendre à mettre en questions notre propre activité pour donner forme mythologique à nos formes modernes de prospérité ou d'abondance.
Il est vraiment amusant de remarquer que le Brueghel qui peignit en 1567 le pays de Cocagne qui sert d'illustration de couverture au livre dont je vais parler est le grand-père de celui qui illustra la tulipmania après la crise de 1637.
Cocagne, histoire d'un pays imaginaire de Hilário Franco Júnior, n'est pas un livre particulièrement récent. Publié au Brésil dix ans avant le white paper de Satoshi, il a été traduit du portugais au moment où je passais devant Bitcoin sans le voir. Pourquoi en traiter aujourd'hui ?
La préface du médiéviste Jacques Le Goff (1924-2014) donne quelques raisons :
« le thème de la Cocagne (…) est né à l’époque du grand développement de la société médiévale, du milieu du XIIe au milieu du XIIIe siècle, au moment où les réussites matérielles, sociales, politiques et culturelles aiguisèrent les appétits ».
« Contrairement au mythe antique de l’âge d’or, réapparu au XIIIe siècle, la Cocagne n’est pas une utopie tournée vers le passé, c’est une utopie qui se libère de cette prison des sociétés et des individus qu’est le temps sous sa forme de calendrier ».
« En ce siècle où l’on met de plus en plus le droit par écrit, lequel pèse toujours plus sur la société (droit romain renaissant, droit canonique en pleine expansion, droit coutumier mis par écrit), la Cocagne (...) est très certainement une unomie, un pays sans loi, mais cette caractéristique est contenue dans la notion d’utopie, c’est-à-dire un pays non seulement sans code, sans répression, mais aussi sans violence et sans désordre. Ne faut-il pas voir dans cela la libre floraison de lois naturelles ? »
J'ai suivi avec intérêt l'émission d'Élise Lucet consacrée aux influenceurs.
Disons tout de suite deux choses :
qu'elle mérite d'être regardée jusqu'à son terme (peut-être moins clinquant et moins people que les accroches initiales mais plus intéressant et plus nuancé) ne serait-ce que pour éviter de juger abruptement un travail de deux heures et 45 minutes en butant sur tel ou tel détail dans les 5 premières minutes ou sur le logo Bitcoin
que Bitcoin, justement, n'est cité ici que de manière anecdotique : un logo qui apparait subrepticement à 16:54, le mot crypto-monnaie à 18 :55 et à 43:25, le trader Laurent Billionnaire qui à 25 ans à peine investit sur le marché de la cryptomonnaie « de très grosses sommes ce qui lui permet de très gros gains »...
Autant donc avouer tout de suite que l'émission ne se focalise pas sur Bitcoin. En un sens, c'est fort bien : cela devrait permettre à tous de réfléchir sereinement, car chacun de mes lecteurs serait très à même d'appliquer à notre monde crypto, avec ses spécificités réelles, espérées ou fantasmées, ce qui est dit ici du monde qui se prétend sérieux, régulé, légitime.
La nature (philosophique ou juridique) de la propriété est un thème qui suscite chez certains bitcoineurs, depuis le début, des positions que l'on peut juger absolutistes et parfois mal informées.
Pour un oui ou pour un non, certains invoquent les mots de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : la propriété est aux termes de son article 2 un droit naturel et imprescriptible et aux termes de l'article 17 un droit inviolable et sacré. Qu'elle ne soit pas le seul droit cité à l'article 2, ou qu'il soit ajouté immédiatement à l'article 17 que nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité sont des détails trop facilement oubliés dans les controverses.
Disons-le d'emblée : je marque toujours un grand étonnement quand je vois tous ces grands mots de naturel ou de sacré employés pour tout et rien et surtout pour ne pas payer d'impôts. Parce que le droit de propriété a une histoire (avant, pendant et après 89) histoire dont il est utile de retrouver les sources et qui ne tient pas tout entier en deux ou trois mots. Et parce que les plaidoiries sont loin d'être toujours cohérentes.
Le livre de Rafe Blaufarb, professeur d'histoire à l'Université d'État de Floride (ce livre est la traduction française en 2019 de la publication originale The Great Demarcation: The French Revolution and the Invention of Modern Property datant de 2016) éclaire la rupture opérée par la Révolution dans l’histoire du droit des biens. Et permet de réfléchir à ce qu'est la propriété, et à ce qu'elle n'est pas, en se plaçant encore plus en amont.
Je veux être clair avec mon lecteur : sans remonter au droit romain, sans examiner l'apport essentiel du nominalisme d'Occam (il y aurait tant à dire) je pars ici très en amont de Bitcoin (2009) et même de l'instauration de l'impôt sur le revenu (1917 en France). Ce faisant, je pense néanmoins pouvoir approfondir le sens des mots, éclairer des questions de principe, poser des questions utiles.
Je poursuis ce que j'ai écrit sur l'aventure de la Préface à l'Acéphale par quelques réflexions sur le sens que les bitcoineurs pourraient attribuer à cette pratique parfois mondaine, au-delà de ce que Frédéric Lordon dénonçait non sans raison comme une pratique sociale tout à fait hétérogène à la logique de la chose intellectuelle.
Et d'abord, pour ceux qui n'ont point fait de latin, dissipons un possible malentendu. La pré-face n'est point ce que l'on mettrait devant sa face, du bas latin facia (« portrait »).
Trouver un préfacier n'est donc pas une pratique qui consisterait à cacher son vrai visage derrière un masque (celui dessiné par David Lloyd et dont tout le monde se sert sans licence) – ce qui serait délicieusement bitcoinesque – ni même à cacher l'anonymat relatif de qui n'est pas encore auteur derrière un visage plus célèbre – ce qui pourrait bien relever de cette vanité sociale qu'un intellectuel exigeant comme Lordon dénonce à bon droit.
Le mot préface vient du latin praefatio et désigne l'action de parler d'abord ou en premier, et ce qui se dit ainsi. Le mot dérive du verbe praefor dans lequel on retrouve la racine qui donne aussi bien la fonction phatique du langage que le forum où s'énonce la parole.
Lors d'un récent live consacré à mon ami et co-auteur Adli Takkal Bataille, ont ressurgi, sur la chaîne du Faune, quelques questions classiques (comment nous nous sommes rencontrés, pourquoi nous obstinons-nous à nous voussoyer, comment avons-nous trouvé, si tôt, un éditeur prêt à mettre un gros ₿ sur une couverture ?) et une plus rare : pourquoi avons-nous fait précéder le texte de l'Acéphale d'une préface ?
Dans le cours même de l'émission, j'ai pu retrouver et lire en direct une correspondance échangée avec Frédéric Lordon, où celui-ci s'excusait fort courtoisement de n'avoir pas le temps d'écrire la chose, mais en soulignait aussi l'inutilité à ses yeux.
C'est là une pratique sociale tout à fait hétérogène à la logique de la chose intellectuelle, laquelle, totalement autosuffisante, n'a besoin d'aucun rehaussement préfacier
Il se trouve que je partageais pour une bonne part son argumentation. Mais je dois avouer que (non binaire à ma façon) je comprenais aussi la requête de notre éditeur.
Il m'a semblé que, quelques années plus tard, et comme en avant-propos à la nouvelle année, je pourrais tenter de retracer l'historique de mes échanges avec les uns et les autres jusqu'à notre rencontre avec Jean-Joseph Goux, qui accepta avec simplicité et gentillesse de nous préfacer. Je reviendrai dans un prochain billet sur le sens que, finalement, j'accorde à cette pratique sociale à laquelle j'ai moi-même sacrifié dans les deux sens.
Il est sans doute peu commun de publier le compte-rendu d'un ouvrage paru en 2018 et traduit en 2019.
Cela conduit évidemment à avouer qu'on ne l'avait pas vu passer, malgré les éloges de Libé. Comme je ne suis pas le plus mal informé du canton crypto, on peut suggérer que je ne suis pas le seul, ce qui légitime ma démarche et donne quelque utilité à ma publication. Ce qui la rend plus étrange encore, c’est que le livre ne traite pas de Bitcoin. Le lecteur a beau savoir que j’ai tendance à exhiber mes autres marottes sur la Voie du Bitcoin, il peut être tenté de passer son chemin. Qu’il n’en fasse rien !
Il me semble en effet que The Game (le titre est resté en anglais dans toutes les traductions) répond plutôt bien à certaines questions auxquelles le très médiatisé ouvrage de Nastasia Hadjadji, No Crypto répondit plutôt mal 5 ans plus tard et notamment quant à la matrice idéologique de Bitcoin.
La sortie du livre No Crypto de Nastasia Hadjadji (dont j'ai rendu compte ici) a remis en selle, dans les controverses entre bitcoineurs, le livre de David Golumbia The Politics of Bitcoin : Software As Right-Wing Extremism.
M'étant d'abord contenté de rapporter les comptes-rendus expéditifs qui m'en avaient été présentés, j'ai pensé qu'à défaut de m'infliger la lecture et le compte-rendu d'un nouvel ouvrage assimilant la crypto à l'extrême-droite, je pourrais présenter ici un compte-rendu rédigé à l'époque de sa publication, soit en 2017, par un économiste qui a produit de nombreux articles sur Bitcoin.
L'analyse qu'en avait fait William Luther, Associate Professor of Economics à la Florida Atlantic University et Director, Sound Money Project à l’American Institute for Economic Research m'a paru intéressante à plus d'un titre, et devrait être méditée tant sur l'aile gauche de la bataille – où l'on pousse des cris d'orfraie bien mal inspirés – que sur l'aille droite où l'on en voit qui semblent vouloir tout faire pour donner raison à leurs détracteurs.
L'original est en ligne, on trouvera ci-dessous sa traduction.
Le livre de Nastasia Hadjadji, annoncé sur les réseaux sociaux plusieurs jours avant sa sortie, y a immédiatement suscité des réactions pas toutes courtoises de la part des crypto bros. Il est vrai que l'autrice avait commis selon moi une maladresse : diffuser un mois à l'avance, pour teaser, des assertions sommaires de type top 5 des arguments . Ceci mène presque infailliblement à ouvrir les inutiles altercations avant l'utile lecture.
Inversement les premières réactions positives, comme celle de Pablo Rauzy, qui m'a élégamment bloqué sur Twitter depuis, m'ont semblé n'avoir goûté de cet ouvrage que ses exagérations dangereusement simplificatrices. On trouvera en fin d'articles des liens vers quelques comptes-rendus du même livre.
Je remercie Nastasia Hadjadji de m'avoir, sur ma demande, communiqué son texte pour me permettre de rédiger un compte-rendu critique que je voudrais raisonnable de son livre, dont j'ai repris tels quels les titres des chapitres. Les illustrations sont de mon fait et n'engagent évidemment que moi.
Il était clair pour elle que je ne pourrais qu'avoir un oeil critique sur la plupart de ses thèses. Pour l'inciter à parcourir mon précédent billet, où je disais refuser la transformation des évangiles autrichiens en petit livre orange de la Bitcoinie, je lui ai rappelé ce que je reprochais à ceux-ci : Toute réserve voire toute critique n'est pas une erreur ou une ignorance, cela peut être un choix politique ou sociétal . Elle a noté qu'il était utile de le rappeler, cela vaut donc pour tout le monde et dans les deux sens.
Une initiative récente et bien intentionnée, visant à donner la célèbre pilule orange aux parlementaires européens que l'on suppose (non sans quelques indices) plus prompts à réglementer ou à condamner Bitcoin qu'à le comprendre, a mis en ligne une levée de fonds de 40 millions de satoshis pour offrir à chacun un exemplaire d'un livre réputé capable de les déniaiser, les éclairer et les séduire.
En l'occurence le choix des promoteurs de cette initiative s'est porté sur L'étalon Bitcoin, ouvrage de M. Saifedean Ammous dont j'ai déjà rendu compte ici et qui offre, à leurs yeux, le double avantage d'avoir été traduit dans 18 des 24 langues de l'UE et d'être considéré comme la référence .
L'argumentation m'a provoqué et je me suis risqué à avouer mes réserves par un message sur Twitter : Je vais être honnête. Si je n'avais pas évolué moi-même antérieurement (lectures, rencontres, expériences diverses et réflexion personnelle) et que j'avais découvert Bitcoin par le livre de S. Ammous, il m'en aurait éloigné. Vraiment .
Parmi les arguments pré-cuits contre Bitcoin, la critique institutionnelle fournit une large gamme autour d'une idée simple : la monnaie étant une institution (sociale ou politique, tous les glissements sont permis) sa gestion revient naturellement, et finalement exclusivement, aux institutions.
Et ceci est supposé d'autant plus convaincant que ces institutions sont dites légitimes c'est à dire bénies jadis par Dieu et aujourd'hui par un scrutin, ce qui fait qu'on les présente comme naturellement à même de transférer à la monnaie ce caractère de légitimité réelle ou supposée.
Or nous vivons actuellement une crise qui questionne assez frontalement ladite légitimité . Les sophismes émis presqu'au rythme de la planche à billets ne témoignent plus guère que de l'inconfort des dirigeants. Quelle conséquence cela peut-il avoir pour la monnaie ?
De Youl à Pascal Boyart, les artistes proches de la communauté Bitcoin ont, comme beaucoup d'autres, déjà réinterprété le drapeau brandi deux siècles plus tôt par la Liberté de Delacroix, lors d'un épisode insurrectionnel ayant opéré un déplacement (minime d'ailleurs) de légitimité et un changement d'effigie sur les pièces de monnaie.
La fresque de Boyart (rapidement effacée) frappait par son horizontalité. En y ajoutant des feux d'émeutes, il assumait ce que les gouvernants dénoncent toujours avec la même indignation feinte et les mêmes mots usés : l'inévitable violence des spasmes révolutionnaires.
Parlons-en, avant de revenir à Bitcoin, révolution pacifique.
Au moment où des hauts-fonctionnaires enfants et petits enfants spirituels de Gérard Théry (1933- 2021) veulent enterrer Bitcoin (au besoin après l'avoir étouffé eux-mêmes) pour se donner la satisfaction de conforter leur conception obsolète du monde mais aussi pour le profit des banquiers et la vanité de politiciens sans vision, il m'a paru important de donner sur mon blog la traduction d' un article qui permet de replacer les bourrasques dans la perspective d'un voyage au long cours.
Cet article a été publié par Aleksandar Svetski, fondateur du Bitcoin Times, auteur de The UnCommunist Manifesto et de la série virale (et controversée) Remnant, par ailleurs responsable de la croissance et de la stratégie chez Lucent Labs.
Sa théorie des trois générations ne pouvait que tirer l'oeil d'un historien... et je remercie mon ami et co-auteur Adli Takkal Bataille, président de notre Cercle du Coin de m'en avoir signalé l'importance.
L'illustration est issue de la publication originale que l'on trouve sur le site de Bitcoin Magazine et sur celui de Zerohedge
Voici la traduction de l'article. Mes commentaires sont placés en dessous, comme il sied à des commentaires.
Le mot relique traverse le ciel de l'économie tel une météore, sous la plume souvent très littéraire de JM Keynes. Sa première mention est je crois dans le Tract on Monetary Reform publié en 1923. La formule (lui) plut et 21 ans plus tard, Lord Keynes la citait avec une fausse modestie remarquable devant la Chambre des Lords. L'expression barbarous relic avait d'abord visé l'étalon-or ; en 1944 il semble que c'était l'or lui-même qui était renvoyé vers un passé volontairement imprécis.
Quelque complexes qu'aient été les rapports de Keynes avec la religion (et sans s'appesantir non plus sur la morgue du britannique évoquant les barbares) il sourd dans cet usage péjoratif de la relique comme un mépris dont on ne sait s'il faut l'attribuer au protestant ou à l'intellectuel.
Dans le monde du Bitcoin, on rabâche un peu la vieille histoire de Luther qui a libéré les consciences de l'emprise de Rome, moderne Babylone où le pape vendait des remises de peines dans l'autre monde. En dénonçant ce trafic centralisé (à Rome) il aurait mis en place un schéma que l'on compare ensuite à celui de Satoshi.
Mais si les Indulgences firent scandales, c'est largement parce qu'elles étaient mal enracinées. La vraie religion populaire, durant des siècles, ce fut bien plutôt celle des reliques. Et cette histoire là n'est pas moins intéressante que l'autre.
Nassim Nicholas Taleb vient de délivrer dans l’Express une interview à Laetitia Strauch-Bonart, par ailleurs autrice d'un De la France remarqué et dont on aurait aimé lire les commentaires.
Ce texte est publié sous un titre tout en finesse et qui malheureusement le résume bien : « Le bitcoin est un détecteur d’imbéciles ».
Avant Noël, au lieu de délirer sur le fameux repas de famille qui semble inspirer à certains une terreur franchement suspecte, j'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt Ces Rois Mages venus d'Occident, ouvrage très érudit publié tout récemment par Mathieu Beaud et tiré de sa thèse de doctorat datant de 2012.
Son livre au titre paradoxal suit ces Mages au long d'une tradition plus que millénaire et montre comment c'est lors d'une étape de leur périple dans l'Occident chrétien que ces magiciens païens et orientaux ont reçu la couronne royale qu'ils ne portaient nullement ni dans leur pays ni dans les premiers textes.
Cet historien de l'art cherche à comprendre comment, où et pourquoi cette métamorphose s'est opérée et ce qu'elle signifie.
Il répond ainsi à l'ironique remarque de Voltaire : On dit que c'étaient trois mages ; mais le peuple a toujours préféré trois rois. On célèbre partout la fête des rois, et nulle part celle des mages. On mange la gâteau des rois, et non pas le gâteau des mages. On crie le roi boit et non pas le mage boit..
Les bitcoineurs qui me lisent, et qu'agacent comme moi le fait de se voir en permanence renvoyés dans leurs buts à grand renforts d'arguments d'autorité aristotéliciens, devraient trouver à l'occasion d'une plongée dans les textes de la tradition biblique de rafraichissantes perspectives.
Immense émotion au MOMA de New York où des activistes crypto ont aspergé la célèbre toile d'Andy Campbell's Soup Cans (1962) avec une importante quantité de soupe à la citrouille. Les éditorialistes de BFMCrypto semblent les premiers à avoir tenté une réponse à la question qui a immédiatement agité les autres plateaux télé : le choix de cette cucurbitacée doit-il, en ce jour de fête d'Halloween, être considéré comme intentionnel ou accidentel ?
La dimension identitaire de cette soupe orange une fois éclaircie et la date du 31 octobre savamment replacée dans l'histoire du mouvement crypto, sans doute convient-il d'écouter les activistes eux-mêmes ?
Le 1er avril dernier (l'avait-il fait exprès ? c'est un point discuté en commentaires) Vitalik Buterin, qui est comme chacun sait le concepteur d'Ethereum, avait publié sur son blog un texte étonnant, En défense du Bitcoin Maximalisme que je n'avais pas vu passer avant qu'un ami ne me le signale, un peu trop tard pour pouvoir le commenter à chaud. Après le printemps, l'été s'est passé dans l'espoir, la crainte ou la curiosité du Merge. On s'est enivré des antiques prophéties de flippening, remises au goût du jour et désormais dotées d'un instrument de mesure en temps réel.
Mais au cours du dernier Repas du Coin plusieurs échanges (cordiaux) ont eu pour thème le maximalisme bien que ce soit évidemment un sujet qui risque à tout moment de conduire à violer la troisième règle de ces repas ( on ne s'engueule pas ) parce que si certains supporteurs d'altcoins sont au mieux des fantaisistes et au pire des escrocs, certains défenseurs de Bitcoin only sont au mieux bornés et au pire toxiques. Verre en main, nous en étions donc arrivés à nous dire que le maximalisme était fait d'un mix d'ignorance et de méchanceté. Dans le second degré qu'autorise l'amitié, et pour analyser le soupçon de maximalisme qu'on m'impute parfois, je notai que je choisissais en ce qui me concernait l'hypothèse de la méchanceté.
C'est alors que j'ai repensé à Vitalik et me suis dit qu'il fallait publier sur mon blog ce texte magnifique dont la VO se trouve ici et que je n'ai fait que traduire ci-dessous, renvoyant mes propres ajouts en commentaires.
C'est une redoutable épreuve pour moi de rendre compte de ce volume, aimablement adressé par la maison Dunod qui a été mon propre éditeur, préfacé par Jean-Jacques Quisquater dont l'amitié m'honore et qui a également préfacé un ouvrage dont j'étais co-auteur et enfin écrit par un universitaire français qui cite deux de mes ouvrages parmi ses 26 références pour aller plus loin .
En regard, Jean-Paul Delahaye représente pour une partie des bitcoineurs (et en tout cas pour ceux que l'on décrit comme maximalistes) un effroyable prototype de Judas, ce qui lui a valu, à partir de 2018, d'être accablé d'injures par les éléments les plus toxiques de notre communauté. Je l'avais déploré et avais approuvé l'Appel pour un débat serein et constructif autour du Bitcoin lancé par deux mathématiciens de mes amis.
Jean-Paul Delahaye est venu à trois Repas du Coin (en 2015 et 2017), il a participé en mai 2017 à Bitcoin Pluribus Impar rue d'Ulm et à un meeet-up du Cercle du Coin quelques mois plus tard. Nous lui avons toujours tendu la main, et encore durant le confinement en avril 2020, l'avons invité à participer à une visioconférence avec nous (voir en bas de page).
J'ai donc lu son ouvrage avec un niveau raisonnable de bienveillance. Il m'a semblé nécessaire de le lire intégralement, sans céder à la joie mauvaise consistant à bondir sur les chapitres nourrissant la polémique énergétique , pour comprendre autant que possible le chemin suivi et le paysage mental de l'auteur.
Bitcoin est parfois décrit (non sans raison!) comme une monnaie d'humains ne se présentant pas les uns aux autres, ne se connaissant pas entre eux et traitant comme des robots, voire comme la monnaie rêvée des machines. Ce qui n'a pas empêché la naissance et le développement d'une sacrée communauté !
En regard, le système fiduciaire se présente comme fondé sur la confiance accordée par des consommateurs protégés par la puissance souveraine (et désormais démocratique) envers des sociétés de banque contrôlées par des régulateurs intègres et compétents : un système plus humain si l'on veut. Mais sans réelle humanité, chacun le sait bien.
J'ai lu cet été un livre portant sur le haut Moyen-Âge (les mérovingiens, les carolingiens et leurs voisins ) et dont la question inaugurale est la suivante : comment fonctionne concrètement une économie "encastrée", c'est à dire une économie dont les éléments constitutifs, ce que nous appelons le travail, la rémunération, l'échange, la consommation, sont si profondément incrustés ou imbriqués dans les relations sociales qu'ils en deviennent impossibles à individualiser ?
Telle quelle, la question ne saurait être plus éloignée de Bitcoin et toute comparaison semble hasardeuse à établir !
A l'occasion de la journée mondiale contre l'ignorance et les préjugés, un certain nombre d'instances de la cryptosphère ont pris acte de la nécessité d'une campagne de sensibilisation et de pédagogie autour de la cryptomonnaie.
Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas dans les couloirs souterrains de la RATP (pourtant la mère de tous les réseaux) qu'ont fleuri les nouvelles affiches mais plutôt sur les abribus de la France entière. Un choix stratégique sur lequel nous reviendrons.
Il s'agit, ont dit les initiateurs de cette campagne, de favoriser l'acceptation et la reconnaissance des expériences monétaires au sein de la société de marché dans l'esprit d'une concurrence libre, loyale et non faussée, tout en luttant contre les actes d'intimidation et de moquerie .
Le Jubilé de Sa Gracieuse Majesté a donné l'occasion de bien des réflexions. Sur le temps qui passe (et le temps c'est de l'argent) et sur ce qui fonde et maintient l'ordre et la valeur des choses, par exemple.
N'étant pas british subject moi-même, même si nombre de mes ancêtres ont dû avoir le Plantagenêt comme seigneur, je me dis que ça ne peut pas être tout à fait par hasard si nos amis d'Outre-Manche conservent à la fois leur reine et leur monnaie. Certes, me dira-t-on, c'est aussi le cas du Danemark, mais normalement quand on dit la reine on sait bien que c'est Elizabeth Regina (la dernière, à ma connaissance, à user du Dei gratia) et quand on dit la livre chacun sait qu'il s'agit de la sterling.
On ne comptera bientôt plus les publicités qui, dans le métro parisien, évoquent, vantent ou moquent (qu'importe) Bitcoin. J'ai déjà évoqué dans le lardon des offenses la plus savoureuse d'entre elles. Mais il me semble qu'il faut aborder le phénomène de manière plus large.
Le métro est un endroit où l'on accède en payant ou en trichant, les deux pratiques ayant d'ailleurs mollement évolué au fil du temps. Voyez L'Acéphale page 157. Le paiement y est contrôlé, l'essentiel du personnel semblant d'ailleurs dorénavant affecté à la surveillance plutôt qu'au service des usagers. On y fait la manche ou la charité, toujours en cash à ce jour. Les hauts-parleurs signalent en plusieurs langues la présence de pickpokets. Certains de ceux-ci exploitent le NFC avec plus d'adresse que la RATP elle-même.
La Bourse et la Monnaie y ont leurs stations et la seconde y fait régulièrement sa publicité, en septembre 2021 avec une campagne de Myphoto ou ces jours-ci pour Monnaies et Merveilles avec l'agence Claudine Colin.
Au total, un bon endroit pour faire de l'économie dans sa tête autant que le permettent les intrusifs fragments de musique, graves ou rythmes, échappés des balladeurs de vos voisins. La publicité y est aussi l'une des principales menaces contre la liberté de rêver du voyageur, en même temps qu'elle fournit des stimuli à sa réflexion.
Pour la première fois, nous dit-on un peu partout, une étude scientifique s’est penchée sur les comportements qui motivent les acheteurs de cryptomonnaies. Parmi les bitcoineurs, c'est surtout l'emploi du mot psychopathe qui a frappé. Bien des profils déjà ornés de laser eyes sur les réseaux sociaux se sont enrichis d'allusions psychotiques.
Actuellement, les raisons pour lesquelles les gens achètent des crypto-monnaies ne sont pas bien connues . On pensait pourtant avoir tout lu : pour acheter de la drogue ? Pour financer le terrorisme ? Pour spéculer honteusement et avoir un compte en Suisse dans la poche comme l'avait dit M. Obama ? Le temps passant, et surtout l'intérêt pour Bitcoin et la cyber-économie croissant, il était grand besoin de trouver autre chose que ces préoccupations socialement marginales.
Il suffisait de prendre le problème par l'autre bout. De quoi ont peur aujourd'hui les élites gouvernementales, médiatiques et parfois universitaires ? Des complotistes et de leurs fakes, avec en arrière-plan le Mal, ou Poutine son serviteur. Inutile de s'attarder à repérer l'archaïsme d'un schéma explicatif reproduisant quelque peu le pécheur, son péché et Satan père du mensonge . Mettons juste cela au goût du jour et à défaut d'un exorciste confirmé, envoyons à l'assaut quelques missionnaires frottés de psychologie et armés d'un bon crible pour trouver la pathologie des bitcoineurs. Après tout, on est toujours le fou de quelqu'un...
Les campagnes d'affichage publicitaire successives de Coinhouse et de Paymium auront sans doute moins suscité de commentaires parmi les fans de Bitcoin et autres actifs cryptographiques comme disent pompeusement les législateurs et régulateurs, que celle, totalement imprévue, des lardons végétaux.
Parmi les commentaires les plus fins que j'ai glanés de-ci de-là, il y a le rieur : l'agence de pub a sûrement eu cette idée en sortant de boîte à 4h du mat' ou le critique leur produit est vraiment naze ; des végétariens qui veulent des lardons, c'est quoi ce délire ? Mais bon comme on dit, tant que y'a des cons pour acheter mais aussi le fataliste la FNSEA est déjà en train de cuisiner le projet de loi sur le mot lardon ou le politique trop bizarre la nouvelle campagne de Fabien Roussel .
Comme bien des gens, j'ai découvert récemment l'histoire de l'Arnaqueur de Tinder (Tinder Swindler) que l'on pourrait malicieusement résumer en disant qu'il s'agit d'une affaires d'échanges sur Internet .
Je ne vais analyser ici, de cette affaire qui à de très nombreux égards est emblématique de notre époque, que ce qui me parait intéresser directement ceux qui veulent réfléchir autour de Bitcoin.
Parce qu'au cœur d'une arnaque, au-delà de l'indélicatesse sentimentale, du mépris de l'être humain, de l'appât d'un gain indû et de la soif de jouissances tape-à-l'oeil, il y a essentiellement l'identité (le renard sous la peau de l'agneau) et... les gros sous. Deux sujets adressés par la technologie blockchain comme on dit.
Je ne crois pas que nous n'aurons jamais plus une bonne monnaie avant que nous ne soyons en mesure de retirer la chose des mains du gouvernement ; cependant comme nous ne pouvons pas retirer violemment la chose des mains du gouvernement, tout ce que nous pouvons faire, c'est d'introduire par un moyen détourné, sournois, quelque chose qu'ils ne pourront pas arrêter .
C'est cette citation de Friedrich Hayek qu'Allen Farrington a mis en exergue de son article publié en novembre dernier dans la quatrième livraison du Bitcoin Times et intitulé The Separation of Money and State, Changing the course of history .
Alain Farrington, dont je ne partage pas forcément toutes les idées, est un penseur intéressant et qui (comme j'essaye de le faire moi-même) fait son miel de toutes fleurs. Il s'était déjà fait remarquer par un article Bitcoin is Venice en février 2021.
Il m'a semblé utile de donner ici une traduction qui atténuera peut-être, pour le public francophone, l'effet pudiquement évoqué comme TLTR !
Voici donc la traduction de cet article assez abstrait et conceptuel, pour laquelle j'espère une bienveillance spéciale de mes lecteurs :
J'ai évoqué dans mon billet précédent consacré à l'exode des trésors et des compétences cryptos le rapport Théry de 1994. C'est une croix que porte, au-delà du décès en juillet 2021 de son brillant auteur, tout haut-fonctionnaire qui prophétise le futur en ne comprenant déjà plus le présent. Classiquement, les mêmes erreurs sont renouvelées depuis des années maintenant au sujet de Bitcoin.
Mais c'est avec une certaine joie que, m'intéressant (dans mon autre vie) à la constitution des collections égyptiennes des musées européens, j'ai retrouvé une perle ancienne et... qui est soudain entré en résonance. Ce qui suit n'est donc pas un ancêtre du rapport Théry mais une preuve que la légèreté et l'arrogance dans le jugement sont un risque inhérent au gouvernement des experts .
Une erreur de jugement, non moins péremptoire que celles de Gérard Théry, et qui explique comment l'une des plus belles collections égyptiennes constituée au 19ème siècle a échappé au pays de Champollion.
(Cette tribune d'abord publiée dans la Lettre 21millions du mercredi 19 janvier 2022 est présentée ici avec une illustration digne de la revue Banque et quelques ajouts en notes)
Quatre ans après les consultations parlementaires qui devaient ouvrir la voie à un état de droit des cryptomonnaies en France, l’état de fait est navrant : exode continu des détenteurs et des entrepreneurs, fermeture de projets, agitation médiatique d’un haut-fonctionnaire qui s’est créé un fonds de commerce en dénonçant les crimes de Bitcoin, ce qui semble plus aisé que de vendre ses idées sur la transformation de l’euro en monnaie écologique.
(L’autorité de l’État et la morale bourgeoise poursuivant Bitcoin)
Tout cela n’empêche pas, classiquement et toute honte bue, l’accueil sur tapis rouge d’acteurs étrangers pas même en règle avec nos sacrosaintes règles.
Sur un plateau de télévision, pour tout bitcoineur qui pourrait expliquer, il y a face à lui quelqu'un qui est là pour critiquer. Il y a des champions de l'exercice. L'un des plus actifs ces temps-ci se présente comme économiste et comme tout économiste, quand il est à court d'argument, il raconte des histoires, partant comme tous les siens de l'idée que les expériences historiques peuvent servir à tout et hors de tout contexte.
Pour démontrer que Bitcoin n'est pas une monnaie, ce qui comme on le lui a répondu est largement une conversation de salon, il a des flèches de toutes sortes dans son carquois. Une monnaie, nous a-t-il expliqué chez François Taddeï, ça met généralement très peu de temps à s'installer . Généralisation dont je vois bien mal le fondement et sur laquelle il embraye par exemple si vous prenez la situation de Berlin après guerre, dans une ville ruinée, bon il fallait un moyen d'échange ...c'est la cigarette qui avait été élue par la population comme moyen d'échange, élue pas au sens strict, au sens de l'utilisation, et ça avait mis deux semaines à s'installer. .
Cet argument fumeux n'a pas été improvisé en panique sur le plateau, il a déjà été présenté dans une tribune du Monde : En 1945, dans le Berlin ruiné d'après guerre, la cigarette n'avait pas mis deux semaines à s'étendre à quasiment toutes les transactions possibles .
L'exemple cité est tellement farfelu (la courbe d'adoption de Bitcoin suit assez fidèlement celle d'Internet, lointain descendant d'Arpanet) qu'il peut sembler oiseux de le regarder de près, mais l'exercice s'avère instructif.
Loin de nous infliger, comme on le fait pour tuer Bitcoin, l'argument des trois fonctions d'Aristote, il n'est plus question ici que d'instrument de transaction. On veut bien croire que ce soit cette fonction qui soit la plus urgente à satisfaire et que l'adoption de la cigarette dans ces conditions ait pu être plus rapide que celle de Bitcoin. Nous voilà plus érudits et doté d'un utile savoir. Sauf sur un point : les Allemands ne fabricant plus rien et surtout pas des cigarettes, cette étrange monnaie n'a pas été élue par la population (genre monnaie locale) mais importée par l'occupant.
Commençons par un aveu de faiblesse : cet article serait difficile à traduire.
Il y avait jadis, m'a-t-on dit, dans mon village de Picardie un menuisier qui faisait aussi café et ne se refusait pas le plaisir d'accueillir à l'occasion le client par une plaisanterie très fine : vous venez pour une bière ? .
Bref, je ne vais pas parler de Bitcoin mis pour une 440ème fois (à ce jour) en bière (du vieux bas-franciquebëra pour civière) mais d'une certaine chope de bière (du moyen-néerlandaisbier) qui me semble avoir largement échappé à la fureur du mème qui règne dans notre sonnante et trinquante communauté.
Certaines personnes ne s'intéresseront jamais à Bitcoin. D'autres ne s'y intéresseront jamais que pour en dénoncer ce qu'il n'est pas ou ce qu'il ne devrait pas être, voire pour en réclamer l'interdiction. Il y a des cas désespérés.
Seulement il faut bien avouer que ceux qui s'intéressent aujourd'hui à Bitcoin ne l'ont fait ni depuis leur propre naissance, ni depuis la sienne, ni même en général depuis leur première rencontre.
Il y a, à un moment donné, une rencontre décisive, parfois gênante, toujours enthousiasmante. Un moment où l'on choit du haut de ses certitudes et où l'on doit reconstruire sa vision, revenir d'une forme d'aveuglement, comme Paul sur le chemin de Damas, où il se rendait pour combattre ceux qu'ils considéraient comme des hérétiques, des dissidents et des dangereux sectaires.
(merci au pape Paul VI pour cette pièce originale)
Comment devons-nous, de notre côté, comprendre et traiter toutes les déclarations des no-coiners exhibant sans fard leur faible connaissance d'une chose qu'ils prétendent condamner ?
Ce billet incite à prendre quelques bonnes résolutions : s'indigner, aboyer et troller ne suffit pas à provoquer la chute du païen, et moins encore à lui ouvrir les yeux.
Le nombre 21 (généralement suivi de millions) joue un rôle essentiel, tant concrètement que symboliquement, pour la meute sectaire et insultante qui agace les gentils universitaires et les utiles haut-fonctionnaires avec lesquels certains d'entre nous s'aventurent à polémiquer en pure perte de temps.
Pourquoi 21 ? Vieille question qui marque au fer rouge le prétendu expert débarquant sur un plateau télévisé avec sa supposée candeur. Passons.
Est-ce qu'il a existé une pièce de 21 quoi que ce soit ? Voilà en revanche une question vraiment utile à débattre durant un week-end pluvieux à l'heure du thé fumant et des livres fermés .
Parce qu'en apparence, depuis la restauration d'un semblant de finance par Bonaparte et jusqu'à l'effondrement des monnaies au 20ème siècle, la plupart des pays civilisés c'est à dire, let's be serious, francophones ont battu en or des pièces de 20 francs, pas de 21.
Mes lecteurs ne regardent pas trop la télévision, et sans doute moins encore sa publicité commerciale que sa réclame politique. Malgré cela je veux parler ici d'un spot qui m'avait amusé jadis et qu'une récente expérience m'a remis en mémoire.
Les publicités des banques est un genre à part, avec ses mots pompeux, sa digitalisation en toc et ses clients santons, tantôt roublards tantôt ébahis. Pouvoir de dire oui, monde qui change, truc qui bouge. On tourne en rond et même en traversant la rue pour gagner la banque d'en face cela reste Kik-kif et Cie. Les pubs du Crédit Mutuel tablent sur l'originalité supposée de leur structure capitalistique même s'il est probable que l'usager s'en soucie peu et ne la soupçonne généralement même pas. Dans cet établissement, pour 24 euros par an, le client n'a ni chéquier ni carte de paiement. On fait mieux, en gros, et mieux vaut donc parler d'autre chose. Voici le clip en question, datant d'une dizaine d'années.
Je ne publie ici qu'une traduction, celle d'un article publié le 9 octobre sur son blog par Edward Snowden sous le titre Votre argent ET votre vie, Les monnaies numériques de banques centrales vont rançonner notre avenir.
Nul besoin de souligner qu'il est un homme dont la parole compte.
Compte tenu de la longueur de son texte, bien peu de gens feront réellement l'effort de le lire en anglais même si chacun jurera le contraire, comme on jure n'avoir aucun problème à tenir une réunion de travail en anglais, en plein Paris, dès qu'on a cru devoir inviter un néo-irlandais, et avant que chacun ne bredouille lamentablement.
D'autre part comme la Banque de France ne communique pratiquement plus qu'en anglais, autant en prendre là-aussi le contrepied !
C'est tout ce que j'ai à dire ; la suite (que l'on peut aussi entendre en lecture sur Grand Angle Crypto) est la traduction de son article, avec ses illustrations, sans commentaires de ma part. J'en aurais bien faits quelques-uns, mais marginaux, notamment sur des points de chronologie. D'autre part certains liens sont restés pointés vers des sources en langue anglaise. Tout cela parce que mes journées n'ont que 24 heures.
La tribune publiée par Monsieur André Lévy-Lang dans les Échos le 26 août ne se distingue, hélas, que par l'éminente qualité de son rédacteur. Pour le reste, du poncif de Ponzi à la responsabilité environnementale de Bitcoin, c'est un navrant pot-pourri de ce que n'importe qui de mal informé pourrait écrire.
C'est je crois ce décalage, plus que la réfutation des arguments qui devrait nous occuper, après lecture de ladite tribune.
Telle était la question qui m'était posée dans le récent podcast que j'ai enregistré avec mon ami Emmanuel dans Parlons Bitcoin. On le trouvera en ligne en deux épisodes (* liens en bas de billet) et je ne vais pas le reprendre intégralement ici, mais seulement citer une ou deux idées, après avoir révélé ce qui m'est venu à l'esprit depuis. Car oui l'esprit souffle où il veut (Jean 8, 8) mais chez moi surtout quand il veut c'est à dire souvent... après-coup.
Or donc, voici ce que j'ai trouvé en ligne : une image qui m'a paru véritablement prodigieuse.
Je ne vais pas aborder ici le napoléon (petit n) qui reste encore aujourd'hui un honnête refuge contre l'inflation pour bourgeois boomers, mais un peu l'autre legs financier de Napoléon Bonaparte, la Banque de France, et un peu aussi l'incapacité de penser par manque de toute « culture » historique qui caractérise tragiquement tout ce qui aujourd'hui « fait l'opinion ».
Pour qui a bénéficié d'une formation historique un tant soit peu sérieuse, l'épisode napoléonien que nous venons de traverser a été éprouvant mais instructif. J'ai déjà dénoncé dans un billet consacré aux histoires des économistes les impostures d'une profession qui se croit habilitée à nous raconter, à travers l'histoire, ce que nous sommes, ce que nous devons être, ce qui a toujours été et doit continuer d'être.
Que dire quand s'y mettent aussi des politiciens formés aux fiches de culture générale de leur prépa à l'ENA, des éditorialistes ivres de parlote, des blogueurs recopiant de fausses citations trouvées en ligne et des copains informés par les controverses elles-mêmes plus que par des lectures universitaires ?
Un ami qui, sans être une « baleine » crypto ni un « pigeon » ébloui par les nouvelles technologies, me lit tout de même à l'occasion, a réagi à l'image du passe-boule turc qui ornait mon précédent article en me demandant comment on pourrait bien jouer avec un bitcoin au jeu très populaire dans sa Picardie et que l'on nomme « le jeu de la grenouille ».
Voyant dans cette question pratique un signe tangible de basculement de l'opinion (enfin des questions concrètes, appelant des réponses ELI5 comme dirait un autre ami, militaire celui-là) je me suis mis immédiatement à penser à la grenouille.
Ce billet « sang neuf » pourrait bien ne me faire que peu d'amis. Mais j'y songeais depuis trop longtemps. Et autant prévenir, les têtes de turcs les plus remarquables ne sont pas sur le Bosphore, même si les autorités de ce pays viennent d'interdire Bitcoin pour les paiements, ce qui leur permettra ensuite de dire que Bitcoin ne sert que pour des transactions illicites...
On commencera par un peu d'histoire, pour amuser la galerie, et on finira par un bain de sang quand je daignerai en venir au sujet, dont le sort des crypto-entreprises qui ont eu le tort de penser un temps que l'on pouvait faire quelque chose dans un pays où la fiscalité restait élevée mais justifiée par l'excellence de la « régulation » offerte par un État puissant et éclairé.
La lecture du millième papier d'universitaire opportuniste, non-spécialiste venu déposer sa gerbe de tulipes au pied du monument funéraire de Bitcoin (techniquement un « cénotaphe » ) m'a fait souvenir d'une étrange monnaie, qui n'exista jamais mais qui fichait quand même une satanée trouille au « gouvernement légitime ».
On est en 1814. Napoléon est à l'île d'Elbe. Non pas comme prisonnier, mais comme souverain, au termes du Traité dit de Fontainebleau, signé le 11 avril avec les puissances coalisées contre la France.
Or un souverain, normalement, ça a bien le droit de battre monnaie, non ? « C'est même à cela qu'on les reconnait » a-t-on envie d'ajouter en ce jour où les plaisanteries sont (encore) autorisées.
On a beau faire, on a beau dire, on est toujours surpris par la fabrique de l'opinion.
Dans un pays où la culture mathématique est tellement faible que la seule chose que l'on remarque quand le chef du gouvernement se trompe (ou nous trompe) avec un graphique dont l'axe des abscisses est décalé de 6 jours et celui des ordonnées (*) de 30%, c'est l'inversion du drapeau français sur une slide de son pénible show... il y a peu à espérer des « débats » sur un sujet techniquement complexe, philosophiquement innovant et politiquement radical comme Bitcoin.
La hausse du bitcoin, la bulle du bitcoin, la folie du bitcoin ont ressurgi ces dernières semaines, avec peu de « variants » par rapport à la précédente édition en fin 2017.
« Méfiez-vous des citations que vous trouverez sur Internet, disait Napoléon ; il est bien incertain de savoir si elles sont authentiques ». A dire le vrai, la fonction magique copier-coller n'a fait qu'empirer une situation qui n'était déjà guère transparente auparavant. Mais pour en rester à Internet et à l'empereur, un mot vient à l'esprit, celui selon lequel « un bon croquis vaut mieux qu'un long discours ».
Parce qu'en matière de tir médiatique (ou politique) contre Bitcoin, quand on a épuisé les boutades, il se fait un emploi massif de petits dessins, notamment la « courbe de la bulle » dans laquelle par une coquetterie pédante on tente d'inscrire pour faire bon poids la « courbe de la tulipe ».
Que valent ces dessins ? Et d'une manière générale, que valent ces « bons croquis » ?
Même le professeur Tulard, qui connaît la vie de son héros minute par minute, parle de « la formule qu'on lui prête » et sans l'écrire (par crainte qu'on ne la trouve finalement dans la marge d'un livre ou sur un papier gribouillé sur un champ de bataille) laisse entendre qu'elle a été forgée. Napoléon était grand écrivain, et de Brienne à Sainte-Hélène, notoirement très gros lecteur.
Qu'importe ! Elle est fort pratique, l'histoire du bon croquis, pour légitimer l'emploi massif de PowerPoint, ce logiciel qui rend stupide, pour citer James Mattis lequel était général lui aussi, et pour faire passer de simples infographies pour des arguments étayés.
Sans chercher à savoir si l'année 2021 doit ou non être marquée par une correction, je suis donc revenu sur ce qui se disait, s'écrivait et se dessinait en 2017-2018.
Ce petit ouvrage du grand Jacques Stern est du type que l'on devrait largement offrir à bien des gens qui parlent à tort et à travers de secret et s'offusquent de la seule mention de l'anonymat de façon ignare et irresponsable.
Comment, demande Stern, un art ancestral peut-il, d'Al Kindi et Al Khwârizmî à Diffie et Hellman, devenir une science moderne ? J'avoue avoir appris grâce à lui que les lettres n, p et q utilisés en 1978 par l'article définissant le RSA étaient déjà employés en 1763 par Euler pour présenter dans la revue de l'Académie de Saint-Petersbourg le théorème d'arithmétique modulaire qui porte son nom.
(les illustrations proviennent toutes de l'album Nope en Stock)
Est-ce un effet du hasard si l’incroyable séquence laïciste que nous vivons depuis des semaines, avec sa réaffirmation emphatique de « principes républicains » taillés sur mesure, coïncide avec les déclamations ministérielles visant à défendre la monnaie de l’État en réglementant à outrance tout ce qui de près ou de loin en menacerait son monopole absolu ? Je ne le crois pas.
Une réaction superficielle aux derniers exploits régulatoires de nos ministres consiste à incriminer leurs hymnes hypocrites à la Blockchain-Nation, dont la France serait un parangon, pour les mettre en rapport avec la cerfa-ration quotidienne de règles absurdes qu’ils nous imposent (1), mais aussi avec une prétentieuse inculture technologique, plaisamment résumée par le nouveau hashtag #3615crypto.
Je propose ici de prendre un satané recul, jusqu’en novembre 1789, pour examiner les choses dans une perspective longue, et voir ce que la rhétorique laïque et la régulation monétaire nous disent toutes deux de « nos valeurs » comme disent ceux qui parlent pour les autres, mais aussi pour voir ce que la logique de « séparation » pourrait signifier.
A ceux qui, comme moi-même, pensent que Bitcoin est fondamentalement une « monnaie souveraine » la lecture du petit livre de Donatella Di Cesare apportera, malgré tout ce qu'il contient de lueurs de fin du monde de nature à rendre chagrin ses lecteurs, quelques pistes pour stimuler la réflexion.
Je n'entends pas tordre le propos de cette philosophe italienne qui, en se penchant sur les questions politiques et éthiques à l’ère de la mondialisation, interroge des phénomènes actuels comme celui de la terreur, face cachée de la guerre civile mondiale qu'elle perçoit, ou comme la souveraineté, qu'elle examine à la lumière de Spinoza. Mais il se trouve que bien des choses qu'elle dit de ce virus qui se rit des frontières et des vieilles souverainetés construites à leur abri s'appliquent de façon trop troublante aux grandes cryptomonnaies pour que cela ne puisse pas être relevé.
Et non, ce titre racoleur ne va pas me conduire, en ce 5 novembre, à ne parler que de Bitcoin !
Je veux parler d'une pièce d'or vieille de plus de 2000 ans et dont le prix a atteint 2.700.000 £ pour 8 grammes d'or. Une pièce d'or assez étonnante, tant par son extrême rareté que par son motif : la célébration de l'un des plus célèbres assassinats politiques de tous les temps.
Il s'agit du lot 463 de la vente menée le 29 octobre dernier par la maison ROMA NUMISMATICS, 20 Fitzroy Square, Londres (métro Warren Street). Côté face le visage de l'assassin Brutus, côté pile son poignard et celui de son complice Cassius entourant le bonnet phrygien, antique symbole républicain, au-dessus de la légende EID MAR (Eidibus Martiis : AUX IDES DE MARS).
L'attention des non-numismates avait été attirée sur ce magnifique objet par le blog de Pierre Jovanovic avec une présentation spectaculaire, mais un peu expéditive.
Joëlle Toledano est une figure respectée du monde officiel. Elle est considérée comme une spécialiste de la réglementation des marchés, a siégé plusieurs années à l’ARCEP, a enseigné la gouvernance de la régulation à Dauphine.
C’est en même temps une personne curieuse de la nouveauté, active au board de plusieurs jeunes entreprises du monde numérique, qui a dirigé en 2018 la mission de réflexion confiée à France Stratégie sur les enjeux des blockchains et qui a participé aux échanges cordiaux de plusieurs « Repas du Coin », sans forcément partager toutes les convictions des bitcoineurs militants.
Son ouvrage est donc très bien informé, équilibré et lucide, y compris quant aux limites des solutions possibles si l’on souhaite, comme elle-même, astreindre des entreprises hors-normes aux normes réglementaires de l’État de droit et de la concurrence non faussée.
Voici un billet dont le sujet m'avait été suggéré d'abord par une simple homophonie, ensuite par une réelle intuition. Il m'a conduit à quelques recherches fécondes. Le sang, liquide infiniment précieux, que l'on versa bien avant de verser des sommes d'argent, le sang qui eut un prix des siècles avant l'invention de la monnaie, que pouvait-il nous dire de la valeur que doit avoir une monnaie, surtout en ayant Bitcoin en tête ?
Est-ce que, pour suivre un simple jeu de mot initial, je ne m'aventurais pas dans une quête peut-être sacrée mais où le sol allait se dérober sous mes pas ?
S'il me fallut plus de six mois pour écrire ce billet n°100, c'est que je consacrais d'abord le temps de confinement à me faire un sang d'encre, j'entends à soigner mes angoisses par l'écriture sur d'autres sujets. Ensuite, durant l'été, il me fallut rechercher dans tous les endroits où je stocke du livre l'utile ouvrage de Jean-Paul Roux, Le Sang, trop superficiellement feuilleté à sa sortie en 1988 et depuis lors peut-être sottement prêté à quelque ami indélicat (devenu de ce fait frère de sang) et enfin à le racheter et à le relire. Voilà, pour le making of.
Par Jacques Favier le 21 mars 2020, 18:30 - de Tintin
Il faut croire que « en dépit de mon plein gré » j'ai avec la publication de Objective Thune quelque peu accéléré la propagation de mèmes Tintin dans la communauté des cryptomonnaies.
En tout cas on m'en envoie de toutes sortes, du meilleur au pire...
Celui-ci que, par égard pour mes lecteurs, j'ai restitué avec une meilleure définition, a conduit à des correspondances et des conversations fructueuses.
Au-delà de ce qui n'eût été qu'une trivialité lorsque les plus hautes autorités nous incitaient à continuer de vivre, sortir, work hard play hard et toutes ces choses d'un passé soudain aboli, la ruée sur le papier dit hygiénique révèle bien des choses et s'annonce probablement comme inaugurale. D'autant que la monnaie aussi est de papier...
Bitcoin a été bien plus que montré du doigt pour son (incontestable sinon injustifiable) dépense énergétique, et ceci parfois jusqu'à l'absurde. On attendrait certainement en vain les excuses de Newsweek, pour sa prophétie de fin 2017, largement médiatisée, selon laquelle Bitcoin consommerait en 2020 toute l'énergie produite dans le monde (note 1).
On a même vu alors des représentants de la Banque de France brandir cet argument écologique avec une touchante émotion. C'est largement assez pour qu'il soit légitime de regarder ici le problème d'un peu plus haut.
C'est ce à quoi invite un philosophe déjà largement cité sur mon blog (notes 2 et 3), Mark Alizart, avec son nouveau petit livre, Le coup d'état climatique
Par Jacques Favier le 5 févr. 2020, 01:00 - de Tintin
Voilà, c'est fait, le livre est publié.
On verra bien ce qu'il nous vaudra, mais il faut commencer par dire, quelques heures seulement après l'événement, l'immense bonheur de se retrouver, si divers (bitcoineurs, famille, amis d'une autre vie parfois, car la Voie du Bitcoin fait toujours retour vers nos autres chemins) autour de l'improbable rencontre de Tintin et de Bitcoin.
Cela fut célébré au cours d'une soirée privée grâce à l'accueil toujours bienveillant de Maltem (déjà sponsor en 2017 de Bitcoin Pluribus Impar )
Par Jacques Favier le 20 déc. 2019, 09:04 - de Tintin
Tintin et Bitcoin, deux passions artificiellement réunies, ou deux angles d'approche d'une même réalité ?
Pour reprendre les mots de Philippe Ratte, avec qui je publie dans quelques jours une étude décalée, « l’idée est que les deux angles éclairent un même objet obscur, que leur rapprochement met en évidence. Ainsi l’interférence entre les ondes légèrement décalées d’un laser frappant un même objet permet-elle d’en tirer l’hologramme».
Il ne s'agit pas, malgré ce qui a pu être dit ou écrit, d'une « nouvelle aventure de Tintin », même si l'éditeur a voulu lui en donner le format. Il s'agit moins encore d'une parodie ; et si l'humour n'est je l'espère jamais absent, il cible bien davantage les forteresses de la finance que l'aimable gentilhommière de Moulinsart.
L'ouvrage d'Arthur de Grave, qui se présente lui-même comme propagandiste, est évidemment ce qu'on appelait jadis un brûlot. Reprenant sur un ton toujours provocateur l'une des ambitions proclamées du régime actuel, pour en faire un bobard creux destiné à envelopper tout autre chose (parce que c'est notre projet) sa lecture divertira la frange libre penseuse de mes lecteurs, et agacera ceux qui espèrent quelque changement d'un pouvoir politique ayant su adapter certains codes jeunes, ou simplement rajeunis. Or qui bene amat, je pense que se faire étriller peut avoir des vertus.
De cet ouvrage de moins de 100 pages au format poche, je ne vais évidemment pas faire un résumé. Je souhaite simplement ici pointer quelques idées fortes, qui évidemment ne seront pas sans rapport avec « la technologie blockchain » même si celle-ci, qui génère elle-même une overdose de bullshit, n'entre pas directement dans la cible du snipper. J'assume donc ici une lecture biaisée.
L'agenda politique sur la monnaie numérique publique, ainsi que ma récente visite du Musée créé par la Banque de France m'ont conduit à de multiples réflexions. Qu'un ministre ne veuille pas de monnaie privée sur notre sol (curieux, d'ailleurs que ce soit précisément ce mot à double sens qui affleure ici) c'est une chose. Que la chose soit impensable en est une autre.
On va parler ici d'une monnaie privée émise justement par ...un ministre, et pas n'importe lequel. Au coeur de l'appareil d'Etat, et en plein centre de la France.
J'ai été invité (autant l'avouer) par un ami travaillant à la Banque de France (autant l'avouer, aussi) à visiter Citéco, à savoir l'ancienne succursale installée dans le 17ème dans le magnifique Hôtel parisien du banquier Gaillard (1821-1902), bâtiment somptueusement restauré puis transformé en un musée finement décrit par l'un de ses promoteurs, Marc-Olivier Strauss-Kahn, comme un château Poudlard de l'éducation économique. Rien de ce qui est lié à la banque ou à la monnaie ne pouvant laisser indifférent ceux qui réfléchissent autour de Bitcoin, j'ai accepté avec grand plaisir et vous fait partager ici mes impressions.
Par Jacques Favier le 24 août 2019, 17:08 - du cyberespace
Une de mes aimables lectrices m'a signalé un article en anglais qui m'a paru suffisamment intéressant pour en proposer ici une traduction . Il est paru récemment dans la livraison d'août de la DUKE LAW & TECHNOLOGY REVIEW transcrivant les actes du colloque THE PAST AND FUTURE OF THE INTERNET consacré à John Perry Barlow. L'article en question est dû à Yochai Benkler, professeur de droit à Harvard. Je ne souscrirais pas forcément à toutes ses assertions, mais puisqu'on me dit avoir songé à mon blog en le lisant... je laisse le lecteur se forger son opinion.
Les conditions du millésime 2019 du baccalauréat (pesée des candidats, émission du diplôme) ne peuvent laisser indifférents ceux qui, dans le domaine de la valeur, soutiennent que cette valeur doit avoir quelque chose d'intrinsèque, et non procéder entièrement de ce que l'on peut nommer au choix loi (νόμος, nomos) ou consensus social ou encore pacte républicain, mais qui finit toujours par ne s'ajuster qu'au plan com' du responsable politique du jour quand ce n'est pas à son plan de fuite.
Ce qui a été présenté comme une mesure technique prise sous la contrainte suscitée par « une infime minorité de preneurs d'otages » risque d'en dire long tant sur la valeur que nous accordons à la valeur, que sur celle que nous sommes encore censés accorder à la légalité.
L'événement a pu passer inaperçu. Il est vrai que la semaine dernière le lancement de la monnaie de Facebook a bénéficié d'un exceptionnel coefficient multiplicateur, j'entends par là un ratio incroyable entre le nombre de pages de commentaires et les 12 pages du papier blanc, comme on dit. Mais tandis que nos autorités brandissaient leur sabre de bois en assurant que jamais le Mark Libre ne serait une monnaie souveraine, on se contentait d'envoyer les gendarmes contre le sieur Nicolas Mutte, coupable d'avoir imprimé, comme prince de Seborga, plus de billets qu'il n'en faudrait pour une honnête partie de Monopoly en temps de canicule, et quelques passeports qui risquent de ne jamais lui servir.
L’incendie de la cathédrale Notre-Dame a fourni une occasion de réfléchir à de nombreux sujets. J’avoue avoir été troublé de réaliser que j’en avais déjà abordés plusieurs ici, et assez récemment : ainsi sur ce qu’est un monument, mais aussi sur les rapports profonds de l’art et de l’argent.
Au risque (assumé) de passer pour un petit métaphysicien du bitcoin, je voudrais partager ici quelques pensées, généralement douloureuses, et dont certaines ne concernent pas si indirectement que cela ceux qui suivent « la Voie du Bitcoin ». Assez pour que, dès le lendemain à 6 heures du matin, j’ai commencé à réfléchir avec Grégory Raymond (journaliste à Capital) à l’opération « Notre Dame des Cryptos » à laquelle vous pouvez participer en cliquant sur le bouton en haut à droite. Parce que ce qui est numérique n'éloigne jamais de ce qui est vrai.
Voici un livre où le mot « bitcoin » est inconnu, et où le mot « blockchain » n’apparaît qu’une fois, explicité en bas de page de façon plutôt expéditive. Je pense quand même qu’il a de nombreux développements de nature à nous intéresser. Les deux auteurs, que je ne connais pas, ont de solides références, et une expérience commune d’enseignement à Sciences Po qui leur permet de maintenir un précieux contact avec les rêves (et les illusions) des plus jeunes. Au risque d’assumer, parfois, le mauvais rôle de l’aîné sceptique et ronchon, ils passent un utile décapant sur l’épaisse couche de lieux communs qui recouvre presque tout ce qui se dit et s’écrit en matière de « révolution numérique ». Avec quelques considérations que les plus prudents prendront la soin de méditer.
Il est bien difficile de publier un compte-rendu de lecture d’un ouvrage qui a, lors de sa publication en 2018, reçu de tels éloges de certains de nos amis*, tout heureux d'avoir enfin un économiste pour clamer que Bitcoin était de la vraie monnaie et même l'étalon futur des vraies monnaies. C'est plus difficile encore d’exprimer des réserves quand l’éditeur de la traduction française vous en a gentiment adressé un exemplaire pour revue.
L’excellente préface du délicieux Nassim Taleb, avec son ironie de dandy sur les experts, m’encourage cependant à me laisser aller, ni plus ni moins autorisé que tout un chacun. Au passage, saluons sa belle définition de Bitcoin comme « police d’assurance contre un futur orwellien ».
« L’Histoire » nous dit dès son prologue S. Ammous « quand elle est examinée attentivement, peut prédire l’avenir ». Voilà le premier caillou sur lequel je bute. Éclairer le présent, projeter même une lumière sur le futur, suggérer des schémas, pressentir des risques… oui. Prédire l’avenir, aucun historien ne dira cela. En outre S. Ammous n’est pas historien, il le confesse lui-même juste après : il est économiste ayant suivi une formation d’ingénieur. Il va pourtant livrer en ouverture 70 pages d’analyse historique qu’il nous faut tenter de juger sans trop d’a priori.
Voici un petit livre qui peut soit enflammer l’imagination soit faire grincer les dents, selon que le lecteur se montrera ouvert à d’autres pensées ou bien droit dans ses bottes, lesquelles n’auront souvent foulé qu’un seul chemin.
Mark Alizart poursuit celui qu’il a commencé de parcourir avec Informatique céleste sur des sentiers hégéliens. Et fort logiquement cela le mène à Marx.
Le successeur de saint Pierre porte toujours un titre qui aurait sans doute fort étonné l'apôtre : Souverain Pontife. Ce titre très ancien, datant de la république romaine, a été repris, adapté et conservé à travers les siècles. Il a fait son entrée dans la modernité, puisque le compte twitter officiel du pape, créé le 12 décembre 2012 par Benoit XVI et qui compte plus de 40 millions de suiveurs dans différentes langues, est @pontifex.
Le mot est chargé d'une très forte symbolique dont une récente et dramatique actualité me laisse penser qu'elle est riche d'enseignements sérieux et qu'elle nous concerne aujourd'hui.
Pontifex apparait sur des monuments, des médailles et des écrits, diversement abrégé, et parfois évoqué d'une seule lettre. C'est le cas sur les sceaux de plomb dont les papes se servaient pour sceller leurs « bulles ». Leur modèle n'a pas évolué dans l'histoire, avec le nom du souverain suivi de PP pour Pontifex et Pastor et de son numéro.
Le mot de « révolution » est tellement usé que l'on est bien obligé d'en trouver un autre quand l'événement surgit et surprend. Il a servi pour la mode, pour le management, pour le marketing et généralement de façon tellement futile que celui qui réfléchit au sens des mots ne peut s'empêcher de noter qu'au terme normal d'une révolution on se retrouve exactement où l'on était au début. Voire où l'on était autrefois, les réactionnaires de tout poil ne manquant jamais de se dire révolutionnaires.
Monsieur Castaner vient de ressortir, après les termes d'agitateurs, factieux et j'en passe celui de « séditieux ». Un mot présent dans le Code Pénal de 1810 mais absent de l'actuel. On lira sur le site de LCI un analyse de ce terme, plus étranger que français.
Notons que ce même mot fut utilisé par le général De Gaulle contre les putschistes d'Alger (en 1962) après l'avoir été 4 ans plus tôt par François Mitterrand, pour décrire les conditions un peu particulières du retour aux affaires du même général. Utilisé au soir d'une journée d'émeute parisienne comme notre histoire en a connu des centaines, avec des voitures brûlées (que l'on va s'appliquer à mettre en relief, comme on s'attelle à minimiser celles, bien plus nombreuses, de tous les 1er janvier depuis des années) et quelques tags (effacés dès le lendemain matin en commençant curieusement par les « Macron démission »), le terme ne montre pas seulement une crispation compréhensible du pouvoir, mais aussi une forme d'incompréhension crispante de celui-ci.
La planète crypto fête ce soir les 10 ans de Bitcoin. Avec mes amis Adli Takkal Bataille et Benoit Huguet nous avons marqué l'événement (avec quelques jours d'avance) en publiant Bitcoin Métamorphoses, un titre qui donne une idée du caractère plastique, protéiforme, mouvant, évolutif de notre étonnant jeton monétaire.
Ce matin, Ledger proposait son wallet en édition commémorative. A midi, ce 31 octobre France Inter a célébré cet anniversaire et le soir même on a entendu Adli et Renaud Lifchitz se débattre à l'émission au « le téléphone sonne » face au vieux scepticisme d'auditeurs encore mal informés, tandis que tous les téléphones des rares experts un peu médiatiques sonnent à l'unisson.
Muette depuis le tant célébré effondrement du bitcoin l'hiver dernier, la presse se réveille en effet. Tiens Bitcoin existe toujours? Il pourrait détruire la planète en réchauffant l'atmosphère s'il atteignait des millions. Si on craint cela c'est qu'on songe un peu au million...
Happy birthday Mr (or Mrs) Bitcoin ! Mais faut-il vraiment présenter les voeux ce soir, ou demain matin? Et en quoi cette date pourrait-elle faire signe vers autre chose que vers la faillite de Lehman Brothers, qui apparait peut-être de façon abusive dans tous les récits de la genèse ?
Par Jacques Favier le 25 août 2018, 09:53 - du cyberespace
Parmi les propos qui reviennent régulièrement chez nos dirigeants quand il s'agit du cyberespace, figure en bonne place une mâle volonté d'y affirmer la souveraineté française. C'est une ambition mal définie dans laquelle se mêlent la volonté de garder à l'État français le monopole du fichage de ses résidents, la traque fiscale des (petits) fraudeurs et un peu de contre-propagande bien illusoire.
Moi, le cyberespace me fait toujours songer à la mer ; et en été la mer je la vois au coin de la rue. Toutes proches, les îles de la Manche sont « des morceaux de France tombés dans la mer et ramassés par l'Angleterre » comme le disait Hugo exilé à Guernesey, chez qui j'avais déjà trouvé en 2014 des petits indices ésotériques pour comprendre Bitcoin. Car je n'oublie jamais Bitcoin, même en bord de mer.
Seulement si Jersey et Guernesey sont tombées du char de l'Etat parce qu'en 1204 un roi de France, satisfait d'avoir récupéré la Normandie, les avait tout bonnement oubliées, les petits rochers des Minquiers ont échappé à la souveraineté française en plein 20ème siècle.
Et pas vraiment, comme on le lit un peu partout (et même sur Wikipedia) parce que des vieilles chartes en latin auraient convaincu la Cour de Justice de la Haye, le 17 novembre 1953, des bons droits de la Couronne d'Angleterre. En réalité, la France s'est montrée fort incapable d'établir ou d'assurer sa souveraineté à 10 miles de ses côtes. Et cela non sans conséquences fâcheuses bien au-delà de l'honneur froissé...
Une leçon de modestie (le lecteur courageux verra qu'elle s'achève dans les toilettes) parfois désopilante, mais aussi une parabole très instructive pour des autorités qui rêvent toujours de sillonner toutes voiles dehors la haute mer du cyberespace au lieu de s'atteler concrètement, en actes et non de façon verbeuse, à doter notre pays des moyens de devenir un véritable port numérique!
L'illustration de ce compte-rendu (il en fallait bien une pour détendre un peu le lecteur courageux !) est composée de quelques bustes de députés caricaturés jadis par Honoré Daumier. Les honorables parlementaires d'aujourd'hui ne m'en voudront pas : ces bustes ayant été acquis par l'Assemblée, ils doivent eux-mêmes trouver cela amusant. Et l'Assemblée à qui j'ai emprunté les clichés ne m'en voudra pas non plus...
Le rapport intitulé Comprendre les Blockchains co-signé par trois rapporteurs (les députés Valéria Faure-Muntian et Claude de Ganay, et le sénateur Ronan Le Gleut) mérite un examen attentif. L'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques est un organe d’information commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, composé paritairement de 18 députés et 18 sénateurs et qui a pour mission d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique. Il est présidé par M. Gérard Longuet, qui s'était heureusement illustré lors d'une audition au Sénat des représentants de la Banque de France (séquence culte) et peut être considéré comme raisonnablement bienveillant. Son intervention en conclusion (page 187) contient une pépite : supprimer le tiers de confiance lui apparait comme « une idée relativement séduisante, de nature à remettre en cause les organisations administratives ou privées tout en apportant une réponse convaincante ». Diable !
(Tant mon compte-rendu que mes illustrations n'engagent que moi, évidemment !)
Voici un ouvrage curieux, un peu inattendu. Un petit pavé de près de 300 pages, publié non par une maison d’édition mais par le cabinet de conseil financier Accuracy et principalement rédigé par trois consultants co-fondateurs de l’initiative Blockchain dans ce cabinet attaché à la « mixité des savoirs » : Martin Della Chiesa (IEP Strasbourg qui a commencé sa carrière comme moi-même au sein de l’inspection générale d’une banque) François Hiault (ISAE Supaéro) et Clément Tequi (ESCP). L’économiste libéral Nicolas Bouzou et le philosophe (ENS-Lyon) Thibaut Gress ont aussi phosphoré. Ainsi bien des sujets sont couverts, et l'ampleur du plan est impressionnante.
Après le rapport de Mme Toledano pour France Stratégie, puis celui de l’Office d’Evaluation Parlementaire, et en attendant les autres travaux parlementaires en cours, celui de la Commission des Finances du Sénat et celui de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale dont le rapporteur est Pierre Person, le rapport commandé en janvier par Bruno Lemaire vient allonger la liste des textes où ceux qui veulent faire avancer les choses doivent scruter de (tout) petits signes encourageants.
Le « Rapport Landau » vise à répondre aux questions posées par Bruno Lemaire en janvier. Ses rédacteurs ont dû s’adapter à partir de mars lorsque le même ministre a énoncé l’ambition de faire de la France la championne des ICO, mais aussi, on peut le supposer, en voyant la tournure plus ouverte que prenaient les auditions devant les missions parlementaires.
Dans ce cadre, ce texte a des mérites, limités mais non négligeables. Tout en sacrifiant à «la technologie blockchain… dont les crypto-monnaies ne sont qu’une des applications possibles», il cible bien l’usage monétaire de la chose, sans trop s’embourber comme le font certaines institutions dans un fatiguant déni ou sans trop contourner cet usage. Certains « blockchain enthousiastes » le lui ont d’ailleurs déjà reproché !
A l’heure où plusieurs institutions n’ont pas encore lâché prise, que ce soit la BRI qui vient de publier tout un chapitre à charge contre les cryptomonnaies ou la Banque de France qui a multiplié durant tout le printemps des imprécations assez creuses, le rapport intitulé Les enjeux des Blockchains et publié par France Stratégie ouvre peut-être la saison des textes plus équilibrés et des propositions, même timides, qui pourraient engager la France dans autre chose qu'une impasse. Les mêmes experts, en gros, ayant ensuite « planché » devant les missions parlementaires ou l'équipe de Jean-Pierre Landau, on peut du moins l'espérer.
Publié sous la signature de la Professeur Joëlle Toledano (qui n’est pourtant pas à titre personnel une bitcoineuse fanatique !) avec le concours de plusieurs personnes, ce document mérite d’être d’abord salué pour son équilibre, quelles que soient les critiques que nous pouvons lui adresser à la marge.
Par Jacques Favier le 27 avr. 2018, 17:20 - du cyberespace
J'ai déjà traité à plusieurs reprises du jeu, univers natif des premières monnaies qui furent décrites comme virtuelles. J'avais abordé l'an passé dans Enjeux la réflexion du médiéviste Jean-Michel Mehl (« il est exceptionnel que le jeu soit gratuit (...) même dans le jeu enfantin, il est facile de déceler, sous les apparences de la gratuité, l’espérance d’une victoire comme la crainte d’une perte ou d’une défaite, définitive et humiliante ») et bien plus tôt dans Monnaie pour rire l'idée d'un rapport que tous les enfants connaissent bien entre la monnaie et l'univers où l'on fait semblant, voire la fête des fous.
Je reviens sur ce thème en diffusant ici le podcast réalisée en mars par Jeanne Dussueil (Globaliz) et au cours duquel Madame Laure de Laraudière, députée représentant « le présent » et moi-même parlant pour « le passé » commentions une dystopie future présentée par le conteur Thomas Guyon.
Dans un futur pas si lointain, nous suivions dans ses tribulations et ses angoisses un individu qui avait tout d'un travailleur acharné sauf que.. pour lui travail n'existait plus si ce n'est dans l'univers d'un jeu video. Gamification la chose est déjà partout présente. Jeanne Dussueil demandait donc à Madame de la Raudière ce qu'en diraient les politiques (le jour où... plus tard ? trop tard?) et à moi ce qui pourrait bien, alors, d'après les enseignements du passé, servir de monnaie.
Bitcoin serait toujours un truc de geek et dans la pratique un truc de mec. Si bien des évidences factuelles tendent à le faire croire, je suis de ceux qui pensent depuis longtemps que la présence féminine doit être recherchée et valorisée, et que l'excuse commode selon laquelle il y a traditionnellement peu de copines passionnées par la technologie est fausse et dangereuse à plus d'un titre.
Au-delà d'un point de principe - la techno comme la monnaie sont affaires de tous - je pense qu'une démarche spécifiquement féminine doit être mise en valeur en ce qui concerne l'usage des monnaies décentralisées, ou plutôt que la réflexion menée depuis plus de deux siècles par les femmes pour construire leur émancipation est potentiellement riche d'enseignements pour ceux qui veulent inventer une monnaie sans sujétion.
On parle maintenant de Bitcoin, au sommet même de l'État, comme d'un facteur de risque systémique (face à des trillions de monnaies légales et des ploutillons d'actifs régulés ou non, mais gérés par des gens du système). Façon de dire que cette expérience menacerait le système financier mondial. Mais l'essentiel de la littérature sur ce fâcheux bitcoin émane encore, du moins pour celle qui est prise en compte par les régulateurs, les politiques et les journalistes, de ce système financier lui-même. Et ceci ne choque personne. C'est comme cela : quand une banque s'estime victime d'un de ses employés, le juge choisit cette même banque comme experte, et il faut des années pour que cela pose des cas de conscience à certains.
La fonction de régulation appartient en théorie à la puissance publique. Ce qui la fonde en droit, c'est à la fois la sécurité de l'État, celle de la population, et la nécessaire confiance de celle-ci dans celui-là. On régule donc largement (et sous des vocables divers : régulation, supervision, contrôle, normalisation, homologation...) les produits financiers comme les médicaments, les communications électroniques, les jeux en ligne ou les voitures à moteurs. Mais toujours avec les mêmes mots: confiance et sécurité.
Or si la sécurité est un fait que l'on peut cerner par des mesures objectives (quand elles ne sont pas manipulées) la confiance est un sentiment humain. A priori on ne peut pas la décréter, pas davantage que l'amour ou le respect, par exemple.
Dans une double page publiée en janvier par le Monde diplomatique, la journaliste Leïla Shahshahani a abordé à travers les vaccinations obligatoires, le débat confisqué sur un sujet qui me parait nous concerner de façon patente.
Je m'empresse de dire que je n'ai pas trop d'idées sur la question, parce qu'en soi les histoires médicales m'ennuient. Mes enfants ont été vaccinés.
Ce qui m'intéresse ici, ce sont la confiscation d'un débat, l'instauration d'une prétendue « confiance » par la coercition, les erreurs et les dérives qu'un tel système rend fatales.
Il en a été le premier émerveillé, le chercheur qui un soir de ce début d'année a posté sur la messagerie privée de notre Cercle du Coin les mots suivants « Je ne m'attendais pas vraiment à ça, mais là je ne vois pas d'autre moyen que de dédier à Jacques Favier la dataviz que je suis en train de faire sur le PoW de Bitcoin ».
Guizeh, ce paysage qui m'est évidemment si cher, surgissant ainsi dans une nuit d'études sur la preuve de travail et la cryptographie. Une merveille du monde numérique !
L'épisode suscité par la célèbre Nabilla Benattia met en perspective divers enjeux qui sont apparus, avec un air de plaisanterie, dans une lumière finalement assez déplaisante.
Au départ, un petit film, que tout le monde a vu et dont je transcris quelques phrases.
« Les chéris, je sais pas si vous avez entendu parler du bitcoin, genre cette sorte de nouvelle monnaie virtuelle… Et en fait je connais l'une des filles qui travaillent avec un trader qui sont à fond dans le bitcoin. C'est un peu la nouvelle monnaie, genre la monnaie du futur. Et donc en fait je trouve que c'est assez bien. Et comme en ce moment genre c'est grave en train de se développer, ils ont créé un site (..) ça vous permet d'apprendre à utiliser le bitcoin. Voilà, je crois que c'est le bon moment, ça commence à peine à se développer, et je pense que c'est le moment de s'y intéresser un petit peu. En fait, même si vous y connaissez rien ça vous permet de gagner de l'argent, sans y investir beaucoup, genre vous y investissez des petites sommes, genre moi j'ai dû mettre à peu près 1000 euros j'ai déjà gagné 800 euros, mais vous pouvez faire beaucoup moins ».
Y avait-il vraiment de quoi faire entrer en ébullition la cryptosphère, l'Internet, puis l'AMF, maladroitement relayée par Libération, le journal des jeunes de 77 ans?
On a un peu envie de remarquer qu'elle dit plutôt moins de sottises que bien des journalistes spécialisés, et que son incitation à un investissement pédagogique est assez prudent. Comme l'a courageusement noté le directeur de l’hebdomadaire du Point, jeudi sur France Inter, cela signifie que le phénomène commence à toucher le grand public et qu'on doit se réjouir que quelq'un porte enfin la chose sur la place publique. « En revanche, vous entendez souvent des politiques en parler, du bitcoin ? Jamais, ou presque. Est-ce qu'ils comprennent ? à mon avis, pas souvent (...) Eh bien celle qui porte le sujet sur la place publique, c’est Nabilla Benattia. Puissent les politiques l’écouter, et se saisir enfin, de ce phénomène tout sauf anecdotique ».
Le temps de Noël est celui où l'on raconte aux enfants des histoires, notamment des histoires de marchandises arrivées jusqu'à eux sans qu'ils aient la moindre conscience d'un paiement, ce qui est aujourd'hui l'ambition ultime de tout le commerce. Comme je l'ai noté récemment, les économistes aussi racontent facilement des histoires, moins pour illustrer leurs théories sur la monnaie, l'investissement ou la dette que pour asseoir dans l'esprit du citoyen des fragments d'un discours de domination. Les tulipes, et les autres histoires des économistes sont des paraboles issues d'un fait historique mineur ou incertain, voire faux, mais qui est passé de livre en livre en changeant de signification selon les besoins des siècles, avec cependant une constante : ces histoires servent toujours à faire la leçon.
En ce sens, elles sont exactement comme les contes et les légendes que de siècle en siècle on a racontés aux enfants. Il y en a une que j'ai toujours adorée, et que je me suis amusé à décortiquer ici, c'est celle du Joueur de flûte de Hamelin. Une histoire de promesses non tenues, d'incertitude sur la monnaie, de séduction et de mensonge.
S'agit-il vraiment d'une vieille légende ? Avant d'aborder le fait historique précis qui serait intervenu un jour il y a fort longtemps dans une petite ville de Basse-Saxe, puis d'en venir en fin de texte à Bitcoin, j'ai songé que le délicieux Père Castor rappellerait à nombre de mes lecteurs leur petite enfance, et aux plus âgés leurs joies de jeunes parents. Autant replonger un instant dans les joies de l'enfance, même s'il ne s'agit pas forcément d'enfants ici.
Revenons à l'histoire, car c'en est une, en ce sens qu'il y a quelque chose qui est vraiment arrivé.
S'il faut reconnaitre des mérites à la note intitulée Les implications macroéconomiques du Bitcoin et rédigée par M. Paul Mortimer-Lee, chef économiste pour le marché américain chez BNP Paribas Securities, on commencera par se réjouir de lire enfin un texte issu de l'intérieur du système, non de ses retraités, fournisseurs, obligés et stipendiés, et dont l'argumentation est conduite avec raison, sans tulipes ni ponzi. On y trouvera quelques phrases au contraire bien réjouissantes !
Le second succès à souligner est d'avoir, pour un texte de deux pages, fait déjà tellement tourner le moulin à paroles chez des dizaines de journalistes dont rien n'indique qu'ils aient eu accès au document original et des centaines de commentateurs qui auraient souhaité une lecture directe et non celle de l'article du Telegraph et des innombrables copier-coller de celui-ci dans la presse généraliste comme spécialisée.
Pour Laurent Ce billet est inspiré par plusieurs échanges entre mon ami Laurent Benichou et moi. Je l'en remercie grandement.
Au début, il y a eu un grand éclat de rire. L'un des plus obstinés contempteurs du bitcoin venait de se livrer à l'une des saillies dont il a le secret en écrivant que le bitcoin « ne doit son existence qu'à une soupe informatique de 0 et de 1 ». A vrai dire, comme l'individu répète en moyenne tous les 15 jours depuis deux ans le même article, nous savions fort bien qu'il nous avait déjà infligé trois ou quatre fois cette image. Pourquoi avons-nous songé cette fois-ci qu'il convenait de l'encadrer ?
Ce Monsieur n'aime pas Bitcoin, soit ! On avait compris. Mais je réalisais que la vraie question, que je posai immédiatement à divers amis, c'était : « est-ce qu'il déteste davantage la soupe ou l'informatique? ». Un fin connaisseur du bitcoin m'a immédiatement répondu. Comme moi, la "soupe" inspirait Laurent Benichou. Nous avons donc réfléchi ensemble...
La publication il y a quelques semaines, sous la plume de M. Christian Pfister, haut responsable de la Banque de France et professeur associé à l'IEP, d'un document de travail consacré aux monnaies numériques est en soi un événement important. Si son titre, Much ado about nothing, est adroitement inspiré de William Shakespeare, le lecteur français pourra regretter qu'une institution fondée par Napoléon communique ses pensées en langue anglaise. Qu'on me pardonne ce patriotisme.
Cependant, après un coup de chapeau initial au fonctionnement de la chose - qu'on l'appelle DL (citée 6 fois) ou Blockchain (8 occurrences du mot) - c'est bien Bitcoin (16 apparitions) qui est le sujet de la note, et surtout, malgré de prudentes protestations, l'hypothèse de l'émission d'un jeton numérique fiduciaire par une institution publique. Je ne m'en étonnerai certainement pas, ayant déjà noté il y a bien des mois que « la Banque a les jetons ».
Les économistes, quand ils s'adressent à un auditoire auquel ils supposent une intelligence limitée, aiment à invoquer l'Histoire. En soi, il n'y aurait rien à redire. J'ai même tendance à souscrire à l'assertion du regretté Bernard Maris, selon qui il n'y avait dans l'économie que la vérification par l'histoire qui soit sujette à certitude.
Le problème c'est qu'ils racontent bien plutôt des histoires que de l'histoire. Sur une remarque de mon ami Jean-Luc qui tient sur Bitcoin.fr une précieuse chronologie de Bitcoin, j'ai décidé de recenser ici quelques événements historiques fort souvent cités, mais hélas pas comme le passage du Père Noël ou l'apparition de la première dent d'un gallinacé. Ces histoires sont invoquées comme arguments en béton étayants des raisonnements péremptoires. Mais faux... car ces événements n'ont jamais eu lieu. On pourrait leur inventer un calendrier, et selon l'idée du Mad Hatter de Lewis Carroll, célébrer leur non-anniversaire.
Voici donc une leçon d'histoire illustrée comme on le faisait jadis pour les enfants. J'y joins quelques événements qui auraient dû avoir lieu, et dont l'évocation n'est pas sans saveur... Et pour ne pas être en reste, j'en ajoute un : l'avènement de Bitcoin comme standard monétaire en 2050, événement prévu dès 2017 dans l'excellent livre "Bitcoin la Monnaie Acéphale" (double prix Nobel de Littérature et d'Economie en 2018, must read, it's amazing !)
La spéculation sur la tulipe en 1637 est sans doute le morceau choisi d'histoire le plus souvent invoqué par ceux qui veulent montrer la profondeur de leur ignorance concernant Bitcoin.
De Nout Wellink, ancien patron de la Banque Centrale des Pays-Bas, déclarant en 2013 que « au moins à l'époque on avait une tulipe, là vous n'aurez rien» au patron de Morgan, Jamie Dimon, répétant il y a quelques jours que le Bitcoin était « pire que les bulbes de tulipes » ils sont des centaines de pontifes à avoir assené la chose, complaisamment reprise par tous les faux profonds : il y aurait un demi-million de pages comportant les mots Bitcoin et Tulip sur Internet.
Dès que le cours bondit (en anglais: to leap) cette sottise fleurit. Cela doit bien dire quelque chose du monde comme il va.
C'était une de ces périodes où les esprits, amenés par les philosophes vers le vrai, c'est à dire vers le désenchantement, se lassent de cette limpidité du possible qui laisse voir le fond de toutes choses, et, par un pas en avant, essaient de franchir les bornes du monde réel pour entrer dans le monde des rêves et des fictions.
S'agit-il de notre époque, désenchantée pour les uns, pleine de promesses pour les autres ?
Non, ces lignes ne sont ni de Max Weber, ni de Marcel Gauchet mais... d'Alexandre Dumas, dans Le Collier de la reine.
Après une séance consacrée à l'imaginaire de la blockchain dans les locaux de France Stratégies, organisme dépendant du Premier Ministre, un participant me confiait « je ne pensais pas que l'on allait passer deux heures dans une instance publique à imaginer ou rêver des bienfaits pour le bon peuple de la blockchain ». De mon côté j'y avais surtout entendu les éternelles promesses de disruption. J'aurais donc, au contraire, voulu aller plus loin : non pas imaginer ce qu'une blockchain ou une autre pourra changer dans nos organisations, mais voir ce qui est en train de changer en nous pour que nous imaginions de tels changements.
Les bitcoineurs, qui s'entendent souvent objecter que le bitcoin n'étant la monnaie d'aucun État ne sera jamais que rien et moins que rien, ne peuvent d'empêcher de spéculer sur ce qu'il adviendrait si le bitcoin était adopté en bonne et due forme quelque part dans le vaste monde.
On a parlé de la Grèce, mais c'était une erreur de raisonnement, de l'île de Man, ou de celle d'Aurigny, mais si ce sont de vrais territoires, ils ne sont pas vraiment souverains et ne songent guère qu'à faciliter les opérations en bitcoin, pas davantage.
Alors si battre monnaie est un privilège souverain, et si la monnaie, comme on nous le rabâche, nécessite le bras puissant d'un Etat, pourquoi ne pas explorer, avec la possibilité d'une monnaie d'un type nouveau, celle d'un Etat construit pour l'occasion ?
L'ouvrage de Kariappa Bheemaiah qui n'est pas encore traduit en français n'est donc pas celui qui a fait le plus de bruit chez nous. Il est cependant le plus solide et sans être d'accord sur tout je suis admiratif de cette alternative différente de toutes les métaphores pétaradantes dont on a orné la Blockchain.
Dès les premières pages, l'auteur annonce un plan ambitieux :
un retour sur les notions fondamentales touchant à la monnaie et à la dette ;
le rôle que peuvent jouer les blockchains dans un monde financier fragmenté, et notamment via les fintech ;
les conséquences sociétales, et notamment l'apparition de nouveaux paradigmes dans le capitalisme, et les conséquences sur le système monétaire, en y comprenant d'abord les banque centrales ;
les perspectives offertes, notamment de nouveaux instruments de politique monétaire et de politique tout court.
Mon compte-rendu est assez long, mais l'ouvrage le mérite. Les illustrations, dues à des associations d'idées parfois intimes, n'engagent évidemment que moi.
Parler à la fois d'informatique et de philosophie est une chose.L'informatique, nous dit le philosophe Mark Alizart, n'est jamais en effet, que l'aboutissement de tout le travail de formalisation de la pensée que la philosophie a entrepris dès l'aube de son histoire, de L'Oragnon d'Aristote à la Logique de Hegel.
Mêler le Cloud et le Ciel (celui des Idées en l'occurrence, ou celui de l'Esprit) en est une autre, qui n'est pas pour me déplaire. J'avais jadis trouvé dans la maison de Victor Hugo des mots latins sur lesquels je reviendrai (in libro / ad cælum) et qui me paraissaient établir un lien.
Par Jacques Favier le 26 mars 2017, 10:47 - du cyberespace
On connaît la chanson : la monnaie, jadis frappée dans du métal précieux et ornée de l’effigie du souverain local, aurait connu de fabuleux progrès en se débarrassant du métal pour ne conserver que l’auguste visage, progressivement remplacé par le nom de son banquier sur un bout de papier, puis par une ligne de donnée dans un fichier de ce dernier. Sans souverain et sans banquier, le bitcoin serait donc « en réalité très archaïque » aux yeux des sages en cravate qui savent bien qu’il ne suffit pas qu’un coquillage soit digital numérique pour qu'il soit moderne.
Il y a pourtant un élément aussi mystérieux que la monnaie et qui suggère que la modernité consiste bien à s'affranchir du pouvoir local, de ses tours, de ses cloches et de ses blasons : c’est le temps.
J'ai écrit il y a un mois un article intitulé la boucle, en partant du mot fameux assurant que le temps c'est de l'argent. Je poursuis ici, en voyant ce que l'évolution de la mesure du temps me suggère au sujet de celle de la fabrique de la monnaie.
Je dois commencer par renouveler des remerciements à celui qui m’a offert l’un des 200 exemplaires numérotés de Snapshot, unsurpassable blockchain solution édité par notre ami Ludom. Je suis un rien vieille France, je l’avoue volontiers, et donc c’est le genre de chose qui me touche !
Ce recueil de témoignages et de récits est un peu à l’image de ce que montre sa couverture : décentralisé, parfois redondant dans les cheminements qu’il offre aux lecteurs. Mais quel que soit l’ordre dans lequel on l’abordera, il offre d'intéressantes leçons.
Je reviendrai en fin de texte sur le choix d'illustration, qui n'engage strictement que moi.
La publication de La Révolution Blockchain de Philippe Rodriguez donne, par son sujet, par sa date de publication et malgré son titre un signal intéressant.
Certes le titre (on reviendra sur le sous-titre) est un peu galvaudé depuis que Don Tapscott a utilisé l'expression : le caractère révolutionnaire de la blockchain a eu tendance à se fondre dans la fureur de mots qui emporte aussi les fintechs, les bigdata et tant d'autres choses, parce qu'ici comme ailleurs s'applique la trop fameuse sentence de Tancrède Falconeri dans le Guépard, réplique culte que cite d'ailleurs Rodriguez.
Mais le brin d'audace est à l'intérieur du livre, qui traite d'abord du Bitcoin, en cette année 2017 où il y a fort à parier que bien des gens vont redécouvrir le bitcoin que des gourous désinvoltes leur avaient jadis conseillé d'oublier.
J'avais été amusé, en octobre 2016, en lisant un papier où Pierre Noizat comparait les pyramides (elles ne me laissent jamais indifférentes) et les cathédrales à des preuves de travail monumentales destinées, pour le citer, à témoigner d'une capacité phénoménale à mobiliser les énergies des sujets et des croyants. Sans la moindre concertation, j'avais publié la veille un papier sur la preuve de travail de Penelope qui m'a, depuis, valu quelques allusions caustiques que je ne pouvais pas imaginer alors.
Je n'avais évidemment rien de cela en tête quand il fut décidé en janvier que notre prochain repas du Coin aurait lieu à Amiens, occasion de nouer des liens avec la Tech Amiénoise. Mais je ne me projette jamais dans l'avenir qu'avec un oeil vers ce que le passé nous lègue de beau, de grand ou d'instructif.
La cathédrale d'Amiens n'est pas seulement la plus vaste de France (dût l'orgueil des parisiens en souffrir) c'est aussi... celle qui m'impressionne le plus. En songeant à retourner y faire visite, j'ai eu une illumination : le "labyrinthe" tracé sur le dallage de la nef, parce qu'il a rapport à quelque chose de compliqué, contient un message qui nous concerne.
J'ai invité quelques amis à venir le voir, avant de livrer ici mes réflexions.
Par Jacques Favier le 18 févr. 2017, 10:06 - du cyberespace
Time is money. Le mot célèbre de Benjamin Franklin courait semble-t-il les rues depuis le grec Antiphon, qui aurait dit le même chose avant de mourir exécuté en -410, ce qui est en somme une façon de faire faillite.
Le problème c'est que chacun formule cette analogie dans un contexte et un propos bien différents.
Le libertaire hédoniste antique trouvait sans doute stupide de perdre un temps compté à travailler dans une vaine quête de fortune ou d'honneurs. Mais son mot (*) est rapporté par un historien dissertant cinq siècles plus tard au sujet d'une perte de temps fatale à l'action. Enfin l'américain modeste, tôt mis au travail, trouvait impie de perdre à ne rien faire une heure qui pouvait être consacrée au négoce. Aucun des trois ne parlait évidemment du travail de l'argent, travail qui consiste essentiellement, au grand scandale des moralistes, à attendre l'échéance en regardant passer le temps.
On évoque classiquement ce que l'on doit à nos ancêtres babyloniens, qui conçurent en regardant le ciel le temps cyclique, celui que l'on retrouverait. Les Égyptiens, eux, regardaient couler dans leurs clepsydres le temps que l'on perd. Et ce n'est pas pour rien que l'on parle d'argent liquide. Il file entre les doigts comme le temps dans la clepsydre.
Mais depuis les Grecs, et même depuis les Lumières, le temps et l'argent ont tous deux changé de nature. Que faire aujourd'hui du lieu commun métaphorique de Franklin?
Professeur à l'Université libre de Bruxelles, Hugues Bersini vient de publier un petit ouvrage intitulé Big Brother is driving you qu'il présente comme de brèves réflexions d'un informaticien obtus sur la société à venir.
Alors que la réflexion sur la blockchain s'articule de plus en plus sur son rôle d'administrateur de confiance, et sur les avantages ou inconvénients d'une confiance de nature algorithmique, il est intéressant d'écouter ce qu'ont à dire les meilleurs connaisseurs des algorithmes.
Après celui de Cardon (déjà cité dans mon billet sur Fouché) le livre de Bersini est donc une lecture à recommander.
Ce scientifique fécond (plus de 300 articles), spécialiste reconnu de l'IA et des algos, de la logique floue et du comportement de systèmes complexes, pionnier dans l'exploitation des métaphores biologiques etc... nous dit que seule l'informatique sera capable d'apporter les solutions qui s'imposent avec la complexification du monde et la multiplication des menaces écologiques, économiques et sociétales. La virtualisation de toute information, la multiplication des modes de connexion, la transformation de tout objet en ordinateur rendent, écrit-il, possible la prise en charge totalement automatisée des biens publics. Bientôt des transports en commun impossibles à frauder optimiseront le trafic pour un coût écologique minimum, tandis que des senseurs intelligents s'assureront d'une consommation énergétique sobre, que les contrats financiers et autres ne souffriront plus d'aucune défection et que les algorithmes prédictifs préviendront toute activité criminelle.
Voilà pour le constat, assorti d'une prédiction : nous y consentirons.
''Face à l'urgence, nous accepterons de confier notre société aux mains d'un big brother "bienveillant". L'interdit le deviendra vraiment et la privation remplacera la punition. Mais le
souhaitons-nous vraiment ?''
A cette question, je ne pense pas qu'il réponde vraiment, et d'une certaine façon la question est plutôt de savoir si nous avons vraiment intérêt à pousser jusqu'aux dernières conséquences cette logique.
Le bitcoin, qui avait vu sa volatilité se réduire doucement, vient de vivre un nouvel épisode de "yo-yo", assez largement compréhensible mais qui a permis le retour des imprécations : la finance casino, ce serait nous !
Inversement, en suggérant, dans un récent billet, que certaines expériences de bases de données distribuées, présentées comme des blockchains-maison, consistaient sans doute à faire joujou avec l’argent, j’ai pu me montrer un peu dur tant vis à vis des banquiers, qui ne peuvent évidemment pas entrer sans combinaison dans le bassin des piranhas du bitcoin (même quand à titre individuel ils partagent la conviction que c’est ce grand bassin qui seul convient aux vrais sportifs) comme vis à vis des consultants qui sont bien obligés de passer par le pédiluve pour entrer dans la piscine.
Bitcoin est une monnaie sans Etat, ce qui fait l'admiration des uns et clôt la discussion pour les autres, ceux qui ajoutent aux fonctions de la monnaie une essence politique qui ne saurait être que nationale, la nature supra-nationale de l'euro ne permettant même pas de rouvrir le champ des possibles. Sans essence régalienne et sans régulation politique Bitcoin ne sera jamais, disent-ils, et quelque soit son succès, qu'un actif spéculatif couplé à un processeur de paiement, pas une monnaie dans toute la majesté de la chose.
L'étrange destin international, et même méta-national, d'une grosse pièce d'argent, bien que portant l'effigie et le nom d'une grande souveraine, nous offre l'occasion de bousculer bien des dogmes régaliens qui encombrent encore les analyses.
Ce thaler aurait pourtant pu n'être que l'une des centaines de pièces frappées en Europe à partir du moment où d'énormes quantités d'argent furent extraites des mines de Bohême. Avant d'aborder son destin incroyable, il faut dire un mot du thaler et de Marie-Thérèse.
Il est assez amusant que ce soit pratiquement à la veille de Noël que l'une des plus grandes banques françaises annonce avoir réalisé une paiement grâce à une blockchain pour le compte de... Panini !
Au delà d'une association d'idées assez triviale entre le monde du foot (auquel l'éditeur a largement lié son destin) et celui du fric sous sa forme elle-même la plus triviale, ce petit exploit m'inspire plusieurs remarques.
La preuve de travail est au centre de la technologie Bitcoin, elle est aussi au centre des critiques, que ce soit pour son coût énergétique (moindre en vérité que celui des seuls ATM bancaires en charge du cash manuel) ou pour son utilité, généralement mal comprise. Bien des faux prophètes promettent de la remplacer à peu de frais mais avec peu de sérieux. Le mieux est encore de l'évacuer carrément des présentations : les bases de données distribuées privées sont désormais présentées par la plupart des conférenciers détaillant "les" blockchains comme la variété permissioned de l'espèce, jamais avec l'étiquetage... lazy.
Régulièrement mis au défi de trouver enfin un bout de Bitcoin dans le passé, j'avais eu un jour, devant l'ami Benoit Huguet, cofondateur de BitConseil, comme un éclair mental apparemment perceptible dans le regard : j'avais enfin trouvé ! L'autre jour, alors que nous attendions Andreas Antonopoulos, il me reprocha de n'avoir pas encore écrit l'article promis ni révélé ma trouvaille. Il me fallut un instant pour retrouver la chose. La figure de l'orateur me rendit la mémoire en me ramenant à ce vieil oracle : à quoi que vous pensiez, un ancien grec en a parlé avant vous. Εὕρηκα, songeai-je en souriant, puisque Eureka est le nom de la société d'Edwige Morency et d'Alexandre David qui organisait ce magnifique événement...
Le colonel Chabert déjà évoqué ici pour évoquer l'impossible retour de Satoshi fait lui-même signe vers un autre revenant, d'un tout autre poids historique :Quand je pense que Napoléon est à Sainte- Hélène, tout ici-bas m’est indifférent dit-il.
Or l'Empereur, lui, avait déjà réussi un premier retour : le 1er mars 1815, il débarqua à Golfe Juan, revenant de l'ile d'Elbe après 10 mois d'absence et il fut "reconnu" immédiatement. Balzac, encore, fait dire à son Médecin de campagne : Avant lui, jamais un homme avait-il pris d'empire rien qu'en montrant son chapeau ? Bonne question... Ce vol de l'Aigle fit longtemps espérer par ses partisans un nouveau prodige.
Satoshi Nakamoto est une énigme et le demeurera peut-être. Je n'ai pas l'intention d'ajouter ici mes hypothèses personnelles à la longue suite de celles qui ont déjà été formulées (voir sur le site bitcoin.fr). Pour moi, son mystère qui anime bien des conversations dans la communauté (qui est-il, ou qui sont-ils ? que pense-t-il de tel ou tel problème ? que va devenir son magot ? ) est consubstantiel au bitcoin, si du moins comme l'écrit quelque part Hegel, la vérité n'est pas comme une monnaie qui, telle qu'elle est frappée, est prête à être dépensée et encaissée. La vérité contient de la vie, da la souffrance et de la mort.
Je ne peux donc partager entièrement le point de vue purement technicien de Peter Todd selon lequel l’identité de Satoshi est simplement une curiosité historique.
L'apparition épisodique d'un prétendant est une chose qui ne peut qu'amuser l'historien comme elle stimule le romancier et intéresse le psychologue.
L'attaque du vendredi 17 juin contre la DAO a constitué un instant passionnant dans l'aventure intellectuelle déjà passablement stimulante de l'économie décentralisée. Les présentations consacrées à Bitcoin s'achèvent presque rituellement en rappelant que "Bitcoin est une expérience". Ce qui vient de se passer, au delà d'une faille technique, doit être pris comme une leçon et inciter chacun à une prudence et à une modestie qui avaient été quelque peu perdues de vue depuis des mois.
En quelques heures, le rêve anarcho-capitaliste s'est fissuré et le slogan à tant d'égards simplet "Code is Law" s'est avéré impuissant face aux forces de l'ordre... des développeurs. Acta est fabula ?
Sans doute ceux qui vont maintenant annoncer la mort de l'ether, comparer la DAO à Mt Gox et brûler sans réflexion ce qui les enthousiasmait hier sans plus de réflexion se tromperont-ils. Sans doute aussi allons-nous voir de grands coups d'épée dans l'eau de ceux qui demanderont de la régulation, des normes, des lois. Mais ensuite il y a fort à parier que l'aventure ramènera vers des fonctions et des concepts plus clairs et renforcera le rôle central du bitcoin.
En écrivant sur la blockchain, il y a quelques jours, mon billet précédent, j'ai eu une sorte d'illumination dont j'ai décidé de faire un récit particulier, parce qu'il s'agit d'un thème spécifique, religieux.
Mon illumination me renvoyait en effet à une scène très frappante, celle qui suit immédiatement l'illumination du Bouddha. Pour illustrer ce billet, j'emprunterai beaucoup au film de Bernardo Bertolucci Little Buddha (1993).
Après l’Ordonnance Macron du 28 avril, l’amendement présenté le 13 mai par Madame Laure de La Raudière, députée de la 3ᵉ circonscription d’Eure-et-Loir, est un second épisode de l’intervention des politiques français dans l’institutionnalisation de la « technologie blockchain ».
Mais si la Blockchain (de bitcoin) est une chose clairement identifiable, sans équivoque, la "technologie blockchain" est une catégorie fourre-tout. C'est un peu comme la Joconde (elle est peinte par Léonard et elle est au Louvre). La "technologie Joconde" c'est quoi?
Comment les politiques (français) l'appréhendent-ils, cette "technologie blockchain"? Où l'étudient-ils? Pourquoi s'en mêlent-ils?
Lire sur le site Le Coin-Coin mon article publié le 7 juin avant que je n'ai eu connaissance de la réponse du Garde des Sceaux M. Jea-Jacques Urvoas, dans un discours du 6 juin. La critique de M. Urvoas vient de l'autre côté de la table, mais elle aboutit à peu près au même point. Il reste du travail !
Le mot token a fait son apparition, assez timidement, dans la cryptosphère. Au vrai, pas plus que le mot blockchain il n'apparaît nulle part dans l'article fondateur de Satoshi Nakamoto en 2008. Mais lui, il a des racines historiques anciennes.
Une page wikipedia token présente de ce mot plusieurs acceptions données à tort comme des homonymes, dont quatre significations liées à l'informatique, sans allusion aux actifs cryptomonétaires, et une référence renvoyant à la page consacrée aux tokens britanniques décrits comme des jetons de paiement illégaux du 17ème au 19ème siècle.
Une fausse monnaie pour le bien commun ?
Sur la page wikipédia consacrée au token britannique cette notion d'illégalité réapparaît, mais pas de façon aussi brutale, et on trouve un exposé historique très complet des différentes phases d'émission de ces petites monnaies privées tolérées par le pouvoir et largement utilisées dans le commerce pour de nombreuses raisons tant et si bien que l'on voit un tisserand (John Fincham à Haverhill dans le Suffolk) apposer sur son demi-penny la fière mention pro bono publico.
En partant des tokens du passé, je vais tenter d'explorer ce qui pourrait être imaginé aujourd'hui pro bono publico .
Bien souvent, le bitcoin est implicitement ou explicitement comparé à une forme d'or numérique. J'avais déjà évoqué ce que nous apporte une comparaison avec le diamant, qu'il faut tailler à l'aide des mathématiques pour en extraire la valeur.
Il m'est venu soudain à l'esprit (je vais dire comment) une autre comparaison avec ce trésor très particulier qu'est la perle, une autre merveille d'agencement puisque sa nature chimique est, comme celle du diamant, extrêmement commune. Et l'agencement n'est-il pas le vrai miracle de Satoshi ?
Lors d’un colloque à l’Assemblée Nationale, on m’avait demandé de répondre à la question : Pourquoi, achète-t-on des bitcoins ? Est-ce la confiance qui mobilise les bitcoineurs ou plus simplement une analyse rationnelle du risque au regard des gains escomptés ?
J’avais répondu qu’il y avait bien des raisons, au delà de l’intérêt, pour désirer détenir du bitcoin. Le bitcoin n’est pas intéressant, il est passionnant, et pour au moins trois raisons : la dimension ludique et communautaire, l'émerveillement technologique et le projet politique.
Quand j’en vins au projet politique, je dus avouer qu’il était difficile à présenter simplement. Je jugeais un peu dur, dans ce temple de nos institutions nationales, d’aller clamer « no borders no banks » et me contentai donc de rappeler que le cœur du projet d’une monnaie décentralisée c’était la liberté du cyberespace, mais en précisant «au double sens d’absence de contrôle et de répression, mais aussi de fluidité, d’instantanéité, de partage et de confiance ». Façon de dire que ce n'était pas forcément ce que, depuis les Augustes romains, les politiques entendent volontiers par Liberté.
À la Conférence « Blockchain : disruption et opportunités » tenue le 24 mars à l'Assemblée nationale, on m'avait demandé une brève mise en perspective de la notion de confiance, notamment à travers la figure de Nicolas Oresme.
Que peut encore avoir à nous dire de ce que nous observons aujourd’hui, un moine normand que l'on a parfois décrit comme l'Einstein du 14 ème siècle et dont les financiers seuls se souviennent qu'il estimait que la monnaie est l'affaire des marchands ? De cet érudit, économiste, mathématicien et traducteur d'Aristote, chez qui l'on trouve avec des siècles d'avance des principes qui seront ceux de Gresham, de Turgot, d'Adam Smith ou de Jean-Baptiste Say, il arrive aujourd'hui que se réclament ceux qui aspirent au retour d'une "monnaie valeur" (même si Oresme ne confondait pas la monnaie et la richesse!). J'ai donc pensé que l'idée de partir d'Oresme pour introduire une réflexion autour du bitcoin était bonne, mais pour aller où ?
Voici le texte (un peu remanié et completé) de mon intervention.
S'il y a unart de la monnaie ce n'est pas celui des banquiers mais celui des artisans, des graveurs de monnaies.
Au commencement, les monetae figuraient le visage des dieux, des héros et des rois. Une monnaie n'était pas moins sacrée qu'une statue dans un temple ; le caractère précieux du métal et la beauté plastique de l'œuvre se combinaient en l'une comme en l'autre.
Qu'elles soient perses, grecques ou ... gauloises, les monnaies antiques nous frappent toujours par leur hiératique beauté.
Et des siècles plus tard, les guerres entre rois étaient aussi des concours de beauté : sur leurs trônes, sur leurs nefs, sur leurs chevaux, rois de France et d'Angleterre faisaient assaut de majesté par de vraies oeuvres d'art.
Il reste quelque chose de ce lien antique. Oscar Wilde l'avait déjà remarqué : «Quand les banquiers se réunissent pour dîner, ils parlent d’art. Quand les artistes se réunissent pour dîner, ils parlent d’argent».
Des étranges relations entre les gens d'argent et les gens d'art, quels enseignements pouvons-nous tirer pour Bitcoin, la plus immatérielle des monnaies ?
La Maison du bitcoin organise régulièrement des petites séances d’initiation au bitcoin, aimablement ouvertes à tous. Je m’y suis rendu mercredi 27 janvier avec ma petite idée, qui consistait à écouter moins l’orateur ( Manuel Valente, très clair) que les questions de la salle.
En réalité, les gens qui viennent rue du Caire ont déjà de l’intérêt, voire de la sympathie, pour cette expérience fascinante, tant d’un point de vue monétaire que d’un point de vue que je dirais… philosophique.
Et justement, très vite je me suis aperçu ce mercredi, que sous le masque des visiteurs, s’étaient fort probablement glissé de grands philosophes. Qu’on en juge à l’examen (dans l’ordre) des questions posées par la salle. On y retrouve les Anciens...
Par Jacques Favier le 28 janv. 2016, 09:24 - de Tintin
Chacun a compris ici ou sur le site ami bitcoin.fr que je fais partie, quelque part entre 7 et 77 ans (et plus près de la limite haute) d'une des nombreuses générations Tintin. Depuis plusieurs jours je méditais un nouveau billet avec l'idée de l'illustrer par de curieux détournements de cette œuvre immense. Les événements, comme on va le voir, se sont télescopés ce qui m'a paru un signe étonnant.
De quoi s'agissait-il au début ? Des liens hypertextes, qu'un amendement proposé par deux députés vise ni plus ni moins qu'à interdire.
L’une des principales plateformes de bitcoin, la première en euros, s’appelle Kraken. Elle vient de croquer deux plateformes américaines, Coinsetter et Cavirtex. Pour illustrer la brève qui annonçait la nouvelle, le site bitcoin.fr n'a pas choisi le logo épuré de Kraken, mais une représentation à l'ancienne figurant sur l'étiquette d' une marque de rhum.
C’est que le Kraken évoque un parfum d'aventures, de piraterie, de terreur, une longue tradition de textes légendaires ou romanesques, de gravures étranges et de scènes cinématographiques impressionnantes ! Commençons par le choix de ce nom par les créateurs de la plateforme qui était une allusion à une réplique culte d’un film déjà ancien (1981) mais ayant connu un remake en 3D en 2010, Le clash des Titans.
Ceux qui lisent mon blog ont manifestement du temps à perdre. Pour leur présenter mes voeux, je vais donc leur infliger une lecture probablement sans valeur, puisqu'ils vont lire ici exactement le contraire de ce que tant de gens instruits et bienveillants leur ont dit depuis des semaines et continuent de leur suggérer.
L'année qui vient de s'achever fut, dit-on partout, l'année de la Blockchain.
En quelques semaines la blockchain, faisant irruption sur la scène du bitcoin, a même cessé d'être la révolution technologique qui se cache derrière le sulfureux bitcoin, mais dont tant d'auteurs malins avaient su dénicher le vrai potentiel. En fin d'année et dans la revue Banque la Blockchain est devenue elle-même la pierre philosophale, celle qui fait de l'or, et c'est le bitcoin qui est passé derrière puisqu'il utilise simplement la Blockchain.
Je voudrais en ce temps de fête parler de chocolat et de monnaie. Non pour de longues et savantes considérations sur l'usage monétaire de cacao par les Mayas et les Aztèques, ou pour ironiser sur la pièce en chocolat vénézuélienne qui vaut plus cher que la "vraie", mais en me demandant simplement d'où vient l'usage de faire des (fausses) pièces de monnaie en chocolat, et pourquoi en chocolat plutôt qu'en sucre candi, en réglisse ou en chewing-gum.
On verra que le choix d'une "pièce bitcoin" par les artisans chocolatiers serait particulièrement approprié !
Par Jacques Favier le 17 déc. 2015, 12:06 - du cyberespace
Comme on me le fait remarquer en commentaire sous mon précédent billet, il y a bien un petit côté subversif dans "Alice au pays des Merveilles" qui a tout pour faire fondre de plaisir le petit coeur endurci de tout Bitcoineur, entre deux achats spéculatifs, celà va sans dire.
J'aimais Alice bien avant de rencontrer le bitcoin, et il me semble bien que son voyage au Pays des Merveilles ait été le premier livre que j'ai lu en intégralité dans la langue qui était encore, à l'époque, de l'anglais.
Si son escapade de l'autre côté du miroir m'a permis de comprendre pourquoi le bitcoin que l'on dit virtuel in the old room était bien réel là où les devises fiat devenaient virtuelles, son odyssée dans le pays des merveilles suscite en moi une autre remarque.
Par Jacques Favier le 13 déc. 2015, 18:15 - du cyberespace
Il y a des phrases que l'on entend dix fois sans trop les écouter et puis qui vous saisisse soudain. Ainsi, lors d'une présentation des potentialités de la technologie blockchain, de l'assertion selon laquelle on pouvait y faire circuler une devise virtuelle comme le bitcoin, mais aussi des devises bien réelles comme l'euro. Je levai la main, et remarquai que sur la blockchain, c'était le bitcoin qui était la chose en soi, alors que ne circuleraient jamais que des promesses, des représentations, des contrats relatifs aux devises fiat.
S'ensuivit une courte controverse sur le sens des mots. Soudain je réalisai que nous avions raisons tous les deux, mais chacun dans son univers.
Par Jacques Favier le 8 déc. 2015, 16:03 - du secret
Ils sont quelques-uns. Puissants et impérieux, mais pourtant désemparés. Les princes de ce monde souhaiteraient plier la cryptograpie à leurs convenances. Or ce n'est pas possible.
Ce n'est pas la première fois que les princes de la terre veulent commander ailleurs que dans leur domaine de compétence. Cela prête toujours un peu à rire.
J'avais des sujets plus légers à traiter; ils attendront. Puisque les autorités incriminent bitcoin et cryptographie au sujet des attentats, je m'autorise à parler ici de leur cérémonie de ce jour.
MM. Hollande et Sarkozy, une fois de plus réunis pour un nouveau numéro de duettistes, et dans un espace militaire, on a vite compris le message. L'union sacrée face à la guerre.
Mais était-ce cela qu'attendait cette "génération Bataclan" qui a payé un lourd tribut à une situation dont elle est moins responsable que ces dirigeants ?
Evoquant dans mon dernier billet sur le Cercle des Échos (de la Blockchain et de l'ancienne société) l’engouement bruyant des banquiers pour des blockchains fonctionnant sur invitation, j’ai osé dans ma conclusion une comparaison avec ce que j’appelais une frivolité d’ancien régime : la Cour de France s’amusant à jouer Beaumarchais.
Il m'a semblé, en y songeant ensuite, que la comparaison était peut-être assez pertinente pour être développée. Le lecteur verra qu’elle m’emmène vers l'une de mes passions : ce que les choses (un peu) fausses nous révèlent de vrai !
Quel rapport avec les blockchains privées? Le lecteur sera bien assez subtil pour y songer par lui-même.
Un jour qu'en sortant d'un repas entre bitcoineurs nous discutions de la loi sur le Renseignement, j'opinais que la police algorithmique en saurait toujours moins que n'en savait Fouché, ministre de la Police de 1799 à 1802 puis (après une première disgrâce) de 1804 à 1810. Quel tollé...
Il ne s'agissait pourtant point d'une coquetterie d'historien. Au moment de cette conversation, j'avais en tête l'attitude de Fouché après le célèbre attentat de la rue Sainte-Nicaise mais également les efforts pathétiques de nos dirigeants pour parer les coups assez similaires des terroristes du moment.
Je persiste dans mon opinion, d'autant qu'entre temps je viens de lire le livre de Dominique Cardon, à quoi rêvent les algorithmes, qui donne plus encore à penser qu'à craindre, et que le hasard d'un trajet en voiture m'a donné l'occasion d'écouter l'excellente émission Concordance des Temps de Jean-Noël Jeanneney, recevant justement Emmanuel de Waresquiel auteur d'une récente biographie de Joseph Fouché, dont la lecture, à son tour m'a conduit vers une remarquable étude de l'historien Augustin Lignereux sur la dérive terroriste à l'époque.
(Cet article a été publié d'abord sur le site Le Coin Coin, sur lequel il entend inaugurer un nouveau genre : la Reprise. L’objectif esr de reprendre un article sur les cryptomonnaies pour le mettre en face des faits et lutter contre la désinformation qui sévit lourdement sur le sujet, par méconnaissance ou vilenie).
En juillet 2015 a été publié un texte à charge, le bitcoin contre la révolution des communs, signé par Denis Dupré, Jean-François Ponsot et Jean-Michel Servet. On le trouve en ligne sur le site d’archives ouvertes pluridisciplinaires HAL, qui se présente comme destiné au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche.
Ce texte annonce assez rapidement une position frontalement hostile.
Comme souvent, ce positionnement s’avère assez peu pertinent pour juger d’une nouveauté.
Par Jacques Favier le 13 sept. 2015, 14:33 - de Tintin
Je viens de publier sur le site bitcoin.fr et à la demande de ses fondateurs un cycle de billets tournant autour de "l'identité du bitcoin". En tentant de répondre à la question de savoir pourquoi son logo usuel est de couleur orange, il y a une petite vignette de Tintin qui m'est revenue à l'esprit.
Presqu'anecdotique dans le récit où elle figure, elle m'a pourtant semblé faire le lien entre deux textes publiés ici l'an passé.
Les techniciens n'aiment pas les politiciens. La grande figure mythologique de la techno ( τέχνη ) c'est Prométhée, dont le nom signifie le Prévoyant, celui qui réfléchit avant, celui qui regarde devant. Son geste - voler le feu aux dieux pour le donner aux hommes - a inspiré une vraie geste, une abondante littérature romanesque (jusqu'à Frankenstein !) et des réflexions profondes à bien des philosophes dont Hobbes et Marx.
Selon le poète Eschyle, il apprit aussi aux humains la notion de temps, les mathématiques, l'écriture, l'agriculture, le dressage des chevaux, la navigation maritime, la médecine, l'art divinatoire et l'art métallurgique.... rien que cela! Dans bien des cultures, au demeurant, c'est un personnage divin qui apprend aux hommes ces choses utiles. En Égypte, le dieu Thot offre ainsi les hiéroglyphes. Sans pour cela se retrouver enchaîné à un rocher comme le malheureux Titan puni par les dieux.
S'il y a bien quelque chose de comique dans les arguties opposées à la potentialité du bitcoin, ce sont les postures régaliennes. Surtout dans notre espace européen soigneusement vidé de toute souveraineté et dont les vrais dirigeants se sont faits invisibles.
L'histoire avait pourtant si bien combiné chez nous le gouvernement du peuple athénien, le droit romain et la prétention d'Alexandre à une filiation divine : "le Sénat et le Peuple de Rome"s'incarnèrent durablement en une seule figure, impériale ! L'aureus d'Auguste montrait le père de la patrie avec, au revers, la figure du sphinx, celui dont l'énigme n'a qu'une réponse : l'Homme.
Et ainsi de suite jusqu'à Napoléon qui fut l'Homme d'une République dont la mention perdura au revers des pièces durant de nombreuses années de son règne.
J'ai écrit dans un papier sur le Bitcoin, le Grexit et les faiseurs de systèmes qu' en dernier ressort bien des objets standards et fongibles peuvent servir d’étalon voire d’instrument de paiement . Je faisais profiter mon lecteur du conseil que m'avait jadis donné un vieil homme avisé : en cas de guerre, mon petit, les boites de sardines se bonifient . Il ajoutait, superbe mais pratique: et ça s’empile facilement . Il faut en parler aux Grecs.
L'argot est comme une mémoire vivante de ces situations de précarité collective. Que l'on travaille pour des clous, pour des clopes, ou pour des peaux de lapins, c'est toujours pour des objets ayant une utilité intrinsèque, relativement standards et fongibles que l'on travaille. La langue anglaise a d'autres références dont to earn peanuts.
On peut certes payer avec des cacahuètes comme monnaie de singe. Reste un problème que la nature de l'objet ne résout jamais. C'est celui de la confiance non en la cacahuète échangée mais dans le singe partenaire de l'échange...
Par Jacques Favier le 18 juil. 2015, 12:19 - du secret
En se faisant traiter de fou, le glaisier d'Auteuil qui confondait la pyrite et l'or s'en tira plutôt bien. D'autant que ses petits cubes sentaient bien le souffre, et pas de façon métaphorique. Bien d'autres furent inquiétés pour moins que cela...
Il est assez éclairant de comparer les accusations proférées par nos irréprochables dirigeants démocrates contre le sulfureux bitcoin ou les messageries secrètes du terrorisme et ce qui se disait en d'autres temps, quand les infâmes monarques de jadis avaient vent de procédés financiers échappant à leur contrôle ou d'exploits cryptographiques permettant d'échapper à leur surveillance.
Jadis les voyageurs découvraient avec émerveillement Byzance, l'opulence de ses marchés, le luxe de ses églises où les saints règnaient sur l'or des mosaïques, et ses belles pièces d'or ou d'electrum, sur lesquelles le Christ lui-même apportait sa caution à l'empereur.
Ils rapportèrent en France l'expression "c'est Byzance". Une autre expression, valoir son pesant d'or, où l'on trouve le vieux mot bezant, témoigne de cette antique fascination...
Par Jacques Favier le 19 juin 2015, 12:27 - du secret
Le rapport sur les nouvelles monnaies signé par Pierre-Antoine Gailly, par ailleurs président de la CCI de Paris, en tant que rapporteur de la commission du Conseil économique, social et environnemental (CESE) n'a pas déchaîné les passions. Ce type de littérature n'est pas fait pour cela.
D'autre part le mélange systématique de deux sujets, les monnaies locales complémentaires et le bitcoin, rend la lecture un peu lourde pour ceux que n'aurait éventuellement intéressés qu'un seul des deux sujets, qui n'ont pas forcément grand chose en commun malgré les efforts déployés.
Qui de nous n'a jamais entendu dire du bitcoin que c'était "un truc de fou" ? En songeant à cette expression, j'ai décidé de ressortir de mes petits papiers une histoire un peu folle.
J'ai dit dans un précédent billet pourquoi le bitcoin ne pouvait pas servir de monnaie de siège. Ceci posé, il reste deux hypothèses couramment évoquées: celle de le voir servir en cas d'hyperinflation (j'y reviendrai) et celle de le voir servir de monnaie de nécessité.
Les monnaies de nécessité sont un champ immense, et il y en a eu de tous les types possibles. J'écrirai un jour sur celles qui furent émises par des "petits pouvoirs" (villes, chambres de commerces...) et sur celles qui jaillirent des usages d'une communauté plus ou moins isolée. Ici je voudrais simplement raconter une histoire un peu folle : celle d'une monnaie de fous.
L'or des fous...l'expression semble se perdre dans la nuit des temps, et peut-être dans l'alchimie, pour désigner ce que les chimistes décrivent comme un dissulfure de fer et que les Anciens nommèrent pyrite (du mot grec pyros qui désigne le feu) car la pyrite produit des étincelles lors des chocs.
Malgré sa couleur jaune la pyrite se différencie très aisément du métal précieux car elle est plus dure et plus légère que l’or. L'or est malléable, la pyrite est cassante. Elle est plus ou moins altérable à l'air.
La condamnation de Ross Ulbricht et de sa Route de la Soie clôt peut-être une affaire qui, claire sur le fond (les trafiquants de drogue sont condamnés dans une très large majorité de pays) a été quelque peu embrouillée conceptuellement de part et d’autre, les arguments ayant eu tendance à monter aux extrêmes, même du côté des défenseurs de la loi et de l’ordre.
Dans la littérature concernant le bitcoin, il y a déjà de nombreuses publications annonçant le possible recours à cette monnaie sans Etat par des peuples défaillants, assiégés, ou dans une situation de ce type. M. Varoufákis lui même n'est pas resté étranger à ce sujet. Peut-être par jeu plus que par conviction.
Par Jacques Favier le 22 mai 2015, 16:28 - du secret
"Si vous voyez un banquier suisse sauter d'une fenêtre, sautez derrière lui, il y a sûrement de l'argent à gagner..."
Le mot serait de Voltaire, en tout cas Jean Ziegler le lui attribua jadis. Sans discuter l'authenticité de la citation, on notera qu'il y a mieux à faire au travers d'une fenêtre que de sauter : regarder. En latin cela se dit speculare.
J’ai mis à profit la fête du Travail et son agréable pont pour lire un livre essentiel dont l’intérêt excède très largement les points que je relève ici…
Les livres du sociologue et philosophe italien Maurizio Lazzarato ne bénéficient pas de la couverture de presse tapageuse réservée aux ouvrages qui instrumentalisent la dette pour promouvoir les lendemains qui déchantent. La fabrique de l’homme endetté avançait en 2011 l’idée que, loin d’être la menace mortelle dénoncée partout contre l’économie capitaliste et les Etats libéraux qui vont avec, la dette tant publique que privée se situait au cœur même du projet politique des « libéraux ».
Par Jacques Favier le 30 avr. 2015, 13:36 - du secret
Dans le climat suscité par le vote de la loi sur le renseignement, j'ai continué à me demander ce que les petites cervelles derrière les grandes oreilles pouvaient ou non comprendre de nos affaires. J'en étais à me demander si en écrivant ainsi le mot "b0mbe" on échappait aux algos ou au contraire si ça les excitait.
Je reviendrai une autre fois sur les algos. Car en vérité deux choses ont alors ramené mes pensées vers... mes (lointaines!) études d'égyptologie. La première c'est cette petite image un peu naïve qui traine partout sur Internet, et qui est réputée mesurer je ne sais quelle souplesse de votre cerveau. Il parait que certains ne parviennent jamais à lire ledit message "leet speak" . Dites-moi qu'ils ne travaillent pas pour les renseignements généraux...
Vous souvenez-vous encore du tant célébré esprit du 11 janvier ?
On citait le 11 janvier et non le 7, et vous avez sans doute pensé que la tuerie n'était, dans ce monde d'impur spectacle, que le prétexte à la mise en scène de nos émotions. Mais cet esprit est en train de s'objectiver bien loin de nos émotions, par un projet de loi liberticide qui, à défaut d'être le premier du genre, marquera tout de même une étape particulièrement abjecte dans l'effondrement veulement consenti du rêve de nos pères de 1789 entre les mains de gens qui osent encore invoquer nos valeurs.
Vos claviers, vos téléphones, bientôt votre pacemaker seront détournés, instrumentalisés ou débranchés à tout moment (sous le contrôle d'un juge) en attendant la fouille au corps (pour votre sécurité) dedans, dehors, de jour et de nuit.
Mais quelles leçons tireront de toutes ces écoutes les petites cervelles cachées derrière les grandes oreilles ? Quel courage toute cette puissance insufflera-t-elle dans leurs petites glandes, pour changer quoique ce soit à leur propre faillite?
Par Jacques Favier le 28 mars 2015, 18:05 - du secret
Je fonctionne comme tout un chacun par associations d'idées. Je relisais un article des Échos où l'on critiquait le caractère insaisissable, sinon impénétrable, de cette devise hybride de l'ère 2.0.
Insaisissable, me suis-je dit, c'est une critique qui doit désormais s'entendre aussi à la lumière de l'inconcevable chypriation des comptes en banques, pratique inaugurée en avril 2013 et que la transposition d'une directive européenne va rendre progressivement commune (lire ici).
Insaisissables, (titre original Now you see me) c'est aussi un film qui fut un succès surprise de l'été 2013. Il met en scène non pas le fisc ou la troïka, mais quatre magiciens capables de dévaliser une banque à distance, de piller en public le compte en banque d'un millionaire qui se croyait plus malin qu'eux et de faire disparaître un coffre fort comme des prestidigitateurs feraient disparaître un lapin dans une boîte à malice.
Je ne vais pas parler ici du bitcoin sinon en filigrane. Poursuivant mon décapage des poncifs repris en boucle contre cette nouvelle monnaie, j'ai abordé (dans le billet 13) sa prétendue absence de réalité financière. Je crois avoir montré qu'elle résidait dans son utilité peut-être plus proche de celle d'un timbre que de celle d'un billet.
Autre grief plus basique encore, son absence de réalité tangible est souvent avancée, critique qui s’accompagne généralement du geste élégant par lequel le pouce avant droit du primate financier effleure rapidement la pulpe de son index. Et comme, effectivement, le bitcoin n'est guère tangible, il m'est venu à l'esprit de me demander si le cash l'était davantage. Qu'est-ce qu'on palpe avec le cash, et qui manquerait au bitcoin?
A l’heure où les Etats les plus solides émettent des emprunts à taux négatifs tandis que l’Union Européenne, entre pillage et rançon, organise et légalise des ponctions directes sur les comptes en banque (lire l'utile avertissement de Philippe Herlin dans les liens en bas de ce billet), il ne serait pas illogique de conserver son pécule en billets de banque. Et c’est bien ce que font un grand nombre de particulier, d’autant que leur détention comme leur dépense bénéficient d’une appréciable discrétion.
Quelle est la vraie nature de ce billet de banque, qui au bout de 4 à 5 générations (pas davantage, en fait) a plus ou moins remplacé l’or dans les représentations spontanées de la richesse financière ? Peut-être la découvre-t-on, comme celle du diamant (billet 12), en le brûlant ?
La grande critique des milieux mal informés contre le bitcoin est qu'il viole un monopole régalien. Depuis le coup d'éclat de la BNS on hésite à vanter la régulation d'une banque centrale, comme depuis l'affaire de Chypre on hésite à louer la protection européenne.
Il est pourtant un autre monopole régalien que l'on a fait passer à la trappe sans larmes de crocodiles, c'est celui des Postes. Et il n'est pas inutile de réfléchir au sujet de la Poste. En fait, ce monopole n'avait évidemment rien d'immuable. Sous l'empereur Auguste, il y avait certes eu un cursus publicus. Parce que l'empire de Rome ce sont des routes bien droites, que l'on reconnaît encore dans le paysage, et protégées par des légions bien équipées. Qui tient le réseau (de routes) tient la poste et a priori la puissance politique est bien placée pour cela. Mais pas forcément.
Au Moyen âge, on voit ainsi l'Université de Paris créer sa propre poste (1150) et en France c'est seulement en 1477 qu'un monopole royal est affirmé. Mais ailleurs on trouve une puissante Poste qui doit tout à une famille dont elle va fonder la puissance : les Thurn und Taxis. Une histoire édifiante.
Le premier trésor que j’ai vu miner n'était ni d’or ni de monnaies crypto : c’était celui des sept nains, qui trouvaient miraculeusement des gemmes déjà taillées.
Trouvaille géniale de Walt Disney ! Car les nains des Grimm ne minaient que fer et or, et il est bien possible que les « « vrais nains », qu’ils aient vécu à Osterwald dans le massif des sept-monts (Basse Saxe) ou dans le petit village de Langenbach im Taunus, dans le centre de la Hesse, n’aient jamais miné que du charbon pour le porter à des vitreries.
Par Jacques Favier le 26 oct. 2014, 13:04 - du secret
J'ai déjà suggéré que Tintin s'était affronté au secret du bitcoin puisque, comme dans le Secret de la Licorne, il s'agit tout à la fois de coder (l'adresse du trésor) et de cacher (le message qui porte le message codé). Aujourd'hui ces deux activités impliquent d'un côté les mathématiques (coder) et de l'autre l'imagination ludique (cacher)
La cryptographie est - en soi - peu romanesque. Le lent travail de l'esprit tendant à percer le piège conçu par un autre esprit, et pire le travail de brute d'un programme acharné à casser un secret se prête moins à l'intrigue qu'une partie de chasse au trésor.
Alors que viendraient faire du côté du bitcoin la littérature ? la poésie ?
Monsieur Jacques Attali a fait une irruption étonnante dans le monde du Bitcoin.
L'Association France-Bitcoin (à laquelle j'ai adhéré) avait annoncée en septembre une grande conférence Euro-Bitcoin qui devait se tenir le 8 octobre, et pour laquelle les organisateurs avaient eu l'idée de solliciter ce brillant conférencier comme speaker pour introduire le sujet. Le 1er octobre, l'événement était annulé, soit pour des raisons matérielles soit par manque d'enthousiasme du public.
Entre temps le magazine FutureMag, sur la chaîne Arte, a programmé pour son émission du 4 octobre, un dossier sur la révolution du bitcoin, cette monnaie électronique totalement sécurisée et anonyme. On le retrouve ici et cette présentation grand public est à la fois exhaustive et bienveillante, d'autant qu'elle est clairement centrée sur les principaux interlocuteurs français en la matière.
En revanche le site FutureMag offre en "bonus" une interview de Jacques Attali qui a circulé sur les réseaux sociaux des bitcoiners, en suscitant des réactions mélangées.
Attention, je ne vais pas parler ici du poker, mais plutôt du Carnaval !
Un bon nombre d'entrepreneurs qui s'intéressent aujourd'hui au bitcoin proviennent du gaming. Et certains du poker. Il y a d'innombrables raisons à cela. Il entre, dans beaucoup de jeux, un plaisir évident de gagner de la véritable monnaie en dehors des cadres légaux, voire illégalement - ce qui crée des lieux et des cercles secrets. À défaut, jouer permet de subvertir les hiérarchies sociales en brassant des richesses illusoires: c'est le cas de ces jeux que l'on désigne joliment en français comme les jeux de société.
Autour d'un tapis ou d'un plateau (Board games en anglais..) et dans un code précis on compte en points, on paye en jeton et on accumule fièrement les piles de ceux -ci sur les rebords de la table. Les trois fonctions sont là. Mais l'argent de Monopoly perd sa valeur quand la partie s'achève, comme l'or du diable lorsque cesse le sortilège. C'est une monnaie pour un temps autant que pour une fonction.
Dans la vie de nos ancêtres, on peut repérer plusieurs périodes hors du temps, c'est à dire hors de la norme sociale et politique : la peste, le siège, le carnaval.
Un rien de Fantasy ne nuit pas à la réflexion financière.
Tous les adolescents adorent cela et l'avenir leur appartient.
Il y a, dans les cultissimes Annales du Disque Monde, un épisode qui aborde de loin la chose: Monnayé, dont le titre est plus explicite en langue anglaise.
Au moment d'être pendu (ou quelque chose comme ça) l'ancien escroc Moite von Lipwig, a dû accepter l'offre du seigneur Vétérini, tyran d’Ankh-Morpork, de devenir ministre des Postes. Puis il plait au tyran de lui proposer un nouveau métier. Comment refuser? D'ailleurs, qui ne voudrait diriger l’Hôtel des monnaies et la Banque voisine ?
Et même dans un monde enchanté, l'invention du papier monnaie gagé sur de la dette (la monnaie IOU) ne se fait pas sans laisser un vieux fonds de doute à certains, comme on le voit dans l'épisode que je cite parce que je le trouve amusant, avant de tenter une ouverture plus sérieuse vers Bitcoin.
On parle un peu de bitcoin, cette monnaie sans État, dans diverses îles qui ne forment pas tout à fait des États et n'ont point de monnaie, même si l'on y brasse beaucoup d'argent.
Il y a quelque temps que je tournais dans mon esprit autour de concepts d'origine théologique. Comme souvent, une image fortuite a catalysé mon intention et je prends le risque, en formant le vœu de ne pas choquer les uns ni rebuter les autres.
Par Jacques Favier le 15 juil. 2014, 07:36 - de Tintin
Tout l'avenir est dans Tintin. C'est affaire de temps, comme chez Nostradamus, mais tout finit par se révéler.
J'ai relu Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge. Et puisqu'il s'agissait de parchemins et de manuscrits anciens, je les ai relus dans l'édition originale de 1942 et 1943, avant de vérifier certains points et de mesurer quelques écarts dans l'édition en couleur.
Il ne m'a pas paru anecdotique que l'aventure dans laquelle je retrouvais tant d'évocation du bitcoin fût justement celle que deux psychanalystes considèrent comme centrale dans l'exploration du drame secret de leur auteur. J'ai donc aussi relu ce qu'en disaient d'un part Serge Tisseron, dans son Tintin chez le psychanalyste paru en 1985 et Michel David, dans son livre ultérieur, Une psychanalyse amusante, Tintin à la lumière de Lacan, paru en 1994. J'y reviendrai à la fin de ce billet.
Je dois commencer en disant que j’ai suivi depuis longtemps et avec intérêt les publications de Philippe Derudder. Pourquoi ? Parce que cela fait un certain temps que je suis convaincu de l’opportunité que des circulations monétaires ciblées offriraient en théorie à des communautés locales ou affinitaires.
Nous avons déjà évoqué le parfum de soufre du bitcoin en traitant de l'usage de la monnaie dans les choses sacrées, qui suscitait bien des questions. Comme ont dû le faire certains Romains, sortons du temple et dirigeons-nous vers le lupanar, puisque les industries du vice ne sont pas les dernières à lorgner vers les monnaies cryptographiques. Le site de l'une d'entre elles, le Redcoin annonce : porn, gambling and everything naughty. Une monnaie pour le vice ? Depuis l'antiquité, les bordels ont battu monnaie...
Est-ce par respect pour César ou par précaution que l'on y inventa une monnaie affectée, comme nous dirions aujourd'hui ? En tout cas, si le premier bordel semble avoir été athénien (et bon marché) les premiers jetons de maisons closes datent de l'époque romaine. On les appelle tessères spintriennes ou spintriae d'un mot latin désignant la débauche.
Le mot tessera désignait en général un jeton et il en existait de toutes sortes. Dans la ville qui garantissait au petit peuple du pain et des jeux, on distribuait en fait des tesserae de matières et de motifs divers, donnant droit à une entrée dans le Cirque ou à une ration de froment. Je ne dis pas que l'on ait distribué des bons pour une passe, mais l'usage du jeton pour entrer quelque part était bien établi. Effectivement, autant ne pas mettre la figure de César sur cela, même si on se souvient que l'empereur Vespasien se moquait bien de voir sa monnaie transiter par les latrines ! Je reviendrai un autre jour sur les tessères et autres jetons d'usage.
Ce jeton en pate de verre dont la réalisation est par ailleurs d'une grande qualité était sans aucun doute en usage dans un établissement huppé.
A peine propulsé dans l'espace médiatique, le bitcoin a dégagé un parfum de souffre. Il ne s'agit pas ici de plaider mais d'examiner le rapport entre deux arguments essentiels : le bitcoin servirait à des trafics sales ; il ne serait pas régi par une autorité souveraine. Les deux critiques sont cependant sans rapport : le dollar reste la monnaie préférée des narcotrafiquants et les monnaies virtuelles, pas davantage que les greenbacks, n'ont été conçues spécifiquement à leur usage.
Si la cyber-monnaie n'est pas soumise à l'autorité d'un souverain, c'est que son cyber-espace de circulation ne l'est pas non plus. Un espace hors souveraineté n'est pas forcément une exception historique : avec quelle monnaie payait-on dans le désert entre deux royaumes ? ou dans l'enclos sacré d'un temple ?
Notons d'abord que dans l'histoire et dans leur domaine de souveraineté les rois n'ont pas souvent été aussi regardants que de nos jours : l'argent n'a pas d'odeur déclara Cesar Vespasien. Tellement que c'est l'argent du roi qui pourrait bien être l'argent sale, ou impur, du moins là où s'opère la distinction du licite et de l'illicite, du sacré et du profane.
Il y a quelques mois on a vu sur BFM Business l’économiste Jean-Marc Daniel (polytechnicien, professeur à ESCP) présenter le Monneron, cette éphémère monnaie privée française de 1792, comme ''le bitcoin de la révolution'', mais avec quelques assertions dont je ne trouve pas les fondements, et sans tenter d’en tirer de leçons pour l’avenir de la nouvelle star, essentiellement citée en accroche.